Le spectre de la récession

4 août 2022

Auteur: Vincent Coppée, gestionnaire de fonds d' Argenta Asset Management

Le premier mois de l’été a été riche en événements, tant au niveau des banques centrales que des publications de résultats d’entreprises. La Réserve Fédérale américaine a poursuivi au pas de charge ses relèvements de taux, et la BCE a augmenté son taux directeur plus fortement qu’anticipé. Les chiffres de l’inflation n’ont en effet laissé aucun choix aux banquiers centraux. Les dernières données macro-économiques indiquent de leur côté que le danger d’une récession mondiale se précise. Par contre, les résultats d’entreprises montrent une assez bonne résistance, il est vrai avec de grosses différences d’une société à l’autre. Dans ce flash, nous développerons ces différents sujets et les décisions qui ont été prises en conséquence dans nos fonds essentiels

Un festival mondial de relèvements de taux

États-Unis, Hongrie, Qatar, Bahreïn, Canada, Australie, Suède et finalement, même la zone Euro : les relèvements de taux d’intérêt se sont multipliés partout en juillet, alors que l’inflation mondiale se maintient à des sommets. 

La pression inflationniste se maintient

Les chiffres de l’inflation nominale battent record sur record

Le graphique ci-dessous se passe de longs commentaires : l’inflation nominale (indice des prix à la consommation) continue sa folle chevauchée, autour de 9 % en base annuelle. Nous devons revenir toujours plus loin dans le passé pour retrouver de tels niveaux, soit au début des années 80.

Inflation globale en l'Eurozone et Etats-Unis

L’inflation de base aussi sous pression

Les banquiers centraux se concentrent sur l’inflation hors alimentation et énergie, qui sont considérées comme des données trop volatiles. Mais ici aussi, on doit constater une pression accrue, en tous cas bien au-delà du fameux objectif de 2 % que les banques centrales poursuivent. Les prix des produits semi-finis, les niveaux des salaires, les prix des loyers, les prix des voyages… La contamination est maintenant générale.

Inflation de base (hors alimentation et énergie)

Les banques centrales doivent agir, vite et fort

Ces chiffres mettent une pression énorme sur les autorités monétaires qui se voient contraintes de remonter leurs taux au pas de charge. Le Canada a, par exemple, créé la surprise début juillet en annonçant une « méga-hausse » de 1 %. Mais concentrons-nous sur les deux principaux acteurs, la FED et la BCE. 

La FED : comme au temps de Volcker

La banque centrale américaine a de nouveau remonté son taux directeur de 0,75 %. Le marché a même craint brièvement un mouvement de 1 % pour juillet, après une énième mauvaise publication des chiffres d’inflation. Nous n’avons plus vu un tel tempo de hausses depuis le début des années 80, lorsque le président de l’époque, Paul Volcker, avait effectué également des relèvements drastiques pour combattre l’inflation galopante qui persistait depuis des années.

La BCE : démarrage plus tardif mais en force

La BCE a remonté également ses taux en juillet, un événement qui ne s’était plus produit depuis 2011. Et elle a immédiatement mis un terme à sa politique de taux négatif en annonçant un relèvement de 0,5 %. Pour les deux banques, on s’attend à ce que les hausses se poursuivent, avec une fin de cycle de hausse anticipée pour mi-2023 aux États‑Unis, au contraire de l’Europe où des hausses sont encore prévues début 2024 (voir graphe ci-dessous).

Hausses de taux intégrées dans le marché

Une récession mondiale : le prix à payer ?

Les signes précurseurs se multiplient

Les indicateurs avancés et les indices de confiance

Les indices PMI des directeurs d’achat flirtent maintenant avec la frontière de 50 qui sépare expansion et contraction, en Europe et au Japon. L’exception chinoise est due au rebond lié à l’assouplissement des mesures de confinement (graphe de gauche). En Amérique, le sous-indicateur des nouvelles commandes dans l’industrie, très suivi car souvent précurseur, prend également la mauvaise direction (graphe de droite).

PMI mondiaux
Etats-Unis: nouvelles commandes dans l'industrie

Les indices de confiance des consommateurs sont également en chute libre. Cela n’annonce potentiellement rien de bon car la consommation est un facteur important dans la croissance globale.

Indice de confiance des consommateurs

L’inversion de la courbe des taux

Autre signe annonciateur d’une récession probable : le courbe des taux d’intérêt aux États-Unis s’est inversée. Cela veut dire que le taux d’intérêt des obligations à 10 ans est maintenant inférieur au taux à 1 an (voir graphe ci-dessous). 

Différentiels de taux américains entre 10 ans

L’interprétation est la suivante : pendant que la banque centrale resserre sa politique monétaire, et fait monter les taux à plus court terme (ici à 1 an), les investisseurs sur le marché obligataire anticipent un ralentissement économique et achètent des obligations à long terme dans l’idée que la croissance, et donc l’inflation, vont chuter dans le futur. Ils font donc monter les cours des ces obligations de long terme (ici 10 ans) et baisser leur taux.

La première confirmation « officielle » : le PIB américain

À la fin du mois de juillet, l’estimation du PIB américain pour le second trimestre 2022 a été publiée, et montre un recul de 0,9 %. Lors du premier trimestre, une baisse de 1,4 % avait déjà été observée. Or, deux trimestres de contraction consécutifs signifient que les États‑Unis sont déjà techniquement en récession. D’autres données sont nécessaires pour avoir une confirmation définitive, mais ceci montre en tous cas que nous sommes très proches d’une récession officielle.

etats-unis: estimation du PIB avec une croissance par trimestre

Deux points positifs : les attentes d’inflation et les résultats d’entreprises

Les attentes d’inflation en nette baisse

Le but des banquiers centraux est de ramener le plus rapidement possible l’inflation à des niveaux acceptables, sans provoquer de dégâts trop importants au niveau de la croissance économique. Et les investisseurs semblent convaincus que le but peut être atteint car leurs attentes d’inflation sur 5 ans ont sérieusement baissé, que ce soit aux États-Unis ou en Europe, comme le montre le graphe ci-dessous.

L'inflation attendue dans 5 ans en Etats-Unis et en l'union européenne

Il est clair qu’une diminution drastique des pressions inflationnistes serait accueillie très favorablement par les marchés, car elle annoncerait la fin de la politique de resserrement monétaire et elle diminuerait le poids de la hausse des coûts sur les marges bénéficiaires pour de nombreuses entreprises.

De notre côté, nous nourrissons cependant certains doutes sur la rapidité avec laquelle l’inflation va baisser, car certaines composantes telles que les salaires ou les loyers pourraient continuer à progresser à un rythme soutenu les prochains mois. C’est pourquoi nous avons décidé d’augmenter nos positions en obligations liées à l’inflation comme expliqué plus loin.

Les résultats d’entreprises font de la résistance

Autre soulagement pour les investisseurs ces dernières semaines : les publications des résultats d’entreprises pour le deuxième trimestre n’ont jusqu’à présent pas montré en moyenne de chute catastrophique des revenus et bénéfices comme certains analystes le craignaient. Certes, il existe de très importantes différences entre secteurs, sous-secteurs et entreprises individuelles, les déceptions alternant avec les bonnes surprises. Mais nous observons encore une croissance moyenne des bénéfices au niveau mondial (MSCI World) de 4,4 % sur le trimestre. La plupart des entreprises (68 %) parviennent également toujours à surprendre positivement. 

Résultats d'entreprises deuxième trimestre de MSCI World

Résultats d’entreprises 2e trimestre MSCI World (source : Refinitiv)

Les prévisions pour le trimestre suivant sont cependant légèrement revues à la baisse (-1,5 %). Les publications d’octobre seront de nouveau déterminantes et risquent d’être un autre moment de stress pour les investisseurs.

 

Notre positionnement dans les fonds essentiels

Actions

Nous conservons une légère sous-pondération en actions, à 45 % d'actions pour le profil neutre. Les craintes de récession économique sont toujours bien présentes, et il n’est pas du tout garanti que nous éviterons une récession des profits au niveau des entreprises.

Nous privilégions une combinaison d’allocation entre une partie plus défensive du portefeuille, essentiellement logée dans notre thématique du vieillissement, et une partie plus dynamique, qui devrait continuer à nous apporter des perspectives de croissance des bénéfices et que nous retrouvons dans nos thématiques de la nouvelle technologie (New Tech), de la Nouvelle Finance (New Finance) ou de la cybersécurité. Les énergies renouvelables constituent toujours une part non négligeable de nos positions, et profitent actuellement du déblocage du dossier climatique aux États-Unis.

Obligations

Nous restons légèrement surpondérés en obligations, à 51,5 % pour le profil neutre. Au sein du portefeuille obligataire, nous conservons notre allocation relativement importante en obligations d’État de qualité (noyau dur européen, bons du trésor américains) et notre sous-pondération en obligations d’entreprises qui sont plus vulnérables en cas de récession économique.  

Au sein des obligations d’État, nous avons augmenté la part des obligations liées à l’inflation, tant aux États-Unis qu’en Europe, jusqu’à 25 % du total de la poche allouée dans ces deux régions. Comme nous l’avons évoqué plus haut, les anticipations d’inflation qui sont actuellement intégrées dans les cours de ces obligations nous semblent un peu trop faibles. 

Nous estimons en effet que l’inflation pourrait se révéler plus résistante qu’anticipé dans les mois ou même les années à venir.

Devises

Nous gardons toujours un portefeuille très diversifié en termes d'exposition aux devises. Malgré son niveau déjà faible, l’euro pourrait en effet continuer de pâtir de la proximité du conflit russo-ukrainien et de la force des prix de l’énergie, en particulier du gaz. Notre allocation relativement importante en dollars américains se justifie également par son statut de valeur refuge dans des temps incertains.

 

Conclusion

Les nombreuses incertitudes qui continuent à peser sur l’économie mondiale (tensions géopolitiques, risque de récession, pressions inflationnistes…) justifient toujours une approche prudente au sein des portefeuille. Elle se matérialise à la fois par notre sous-pondération en actions et par un portefeuille obligataire orienté vers les segments les plus défensifs du marché. Nous conservons cependant notre exposition vers les secteurs les plus dynamiques du marché d’actions, où se loge encore un potentiel de croissance. Nous sommes toutefois très attentif à la qualité dans notre sélection.

Plutôt que de rechercher un timing parfait du marché, qui est un exercice éminemment aléatoire, il nous paraît bien plus important de nous concentrer sur une saine diversification et une gestion efficace du risque au sein des portefeuilles. C’est ce que nous nous attelons à réaliser avec soin dans l’intérêt de nos clients.

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