Monsieur le maître, il recommence

16 octobre 2025

Conscient du quasi-monopole de son pays, le président chinois Xi a placé l’économie américaine en étau en durcissant encore les restrictions à l’exportation de métaux rares. Pour poursuivre sa croissance exponentielle, le secteur technologique américain dépend de plus en plus de ces éléments terrestres essentiels, aux propriétés particulières de conduction électrique et de magnétisme.

À l’automne 2023, bien avant la récente vague d’augmentation des droits de douane, la Chine avait déjà largement fermé le robinet des métalloïdes vitaux que sont le gallium et le germanium[i]. Mais la demande américaine était encore suffisamment satisfaite par le transshipping[ii] ou des livraisons déguisées en recyclage. Un œil complaisamment fermé, en échange d’un assouplissement des restrictions américaines sur l’exportation de microprocesseurs sophistiqués, afin de répondre aux besoins croissants de l’IA chinoise.

Graphique 1 : Évolution du prix de certains métaux rares

Évolution du prix de certains métaux rares

Mais conscient de sa position de force dans ce conflit commercial, Xi a mis fin à cette paix armée le 9 octobre. Il a ainsi contraint les États-Unis à modérer des droits d’importation exorbitants sur les produits chinois et a rappelé au président américain qu’il avait largement surestimé sa main. Comme en 2018, d’ailleurs.

Fort du relatif succès de sa stratégie dans le bras de fer commercial avec l’Europe, Trump estime sans doute que le Géant rouge finira, lui aussi, par céder face à la menace de droits d’importation indécemment élevés.

Rien n’est moins sûr. La victoire sur l’Europe n’était rien d’autre qu’une rectification des relations commerciales historiquement déséquilibrées.  Sur le Vieux Continent, ils ne le savaient que trop bien, d’où la rapidité de l’accord. Et l’Europe avait, de surcroît, peu de moyens de riposte.

C’est l’inverse s’agissant de la Chine.  Une nouvelle hausse des droits d’importation sur les produits chinois accentuerait encore la pression inflationniste américaine (probablement au-delà du seuil de tolérance du consommateur), tandis que les restrictions chinoises sur les métaux rares menacent de freiner le principal moteur de croissance économique des États-Unis. 

D’où les frissons sur les Bourses américaines lors de la séance du vendredi soir 10 octobre, inquiètes des possibles représailles du président Trump. Il a annoncé un doublement des droits d’importation, à un niveau beaucoup plus dommageable pour les États-Unis que pour la Chine. Il a aussi menacé de couper à plus long terme les lignes d’approvisionnement en terres rares. Ce qui, à son tour, a provoqué des représailles de la part de la Chine, notamment par le biais de droits de douane plus élevés sur les produits agricoles américains (en particulier le soja), une mesure qui affecte particulièrement le cœur des États-Unis - le bastion du parti républicain.

Pour l’instant, il s’agit surtout d’exhiber ses muscles. Tout cela finira sans doute par s’arranger, mais le manque de sensibilité aux susceptibilités culturelles chinoises sidère. Plutôt que des menaces (creuses), mieux vaut rechercher des accords économiquement pertinents que le président chinois ne puisse interpréter comme une défaite humiliante.

Mais il reste un peu de temps : jusqu’au 1er novembre, plus précisément. Selon l’actuel hôte de la Maison-Blanche, c’est encore une éternité. 

Attention aux secousses

Une chute des marchés boursiers (en forte hausse) était inévitable, mais les actions se sont bien comportées, optant pour un chemin de reprise, cahoteux mais réel. Malgré les relèvements tarifaires de l’an dernier, l’impact inflationniste reste, pour l’instant, limité. Pourtant, comme on pouvait s’y attendre, environ la moitié des taxes à l’importation sont directement répercutées sur les consommateurs américains. Mais cette pression à la hausse sur les prix est atténuée par les prix modérés des biens et services produits sur le sol national. Et ce, alors que la perspective d’une baisse des loyers et une éventuelle réduction des prix des médicaments tempèrent aussi les anticipations d’inflation.

Les marchés d’actions et d’obligations ont même reçu un soutien inattendu. Le vilipendé président de la banque centrale américaine a, pour une fois, tendu une main secourable en évoquant l’affaiblissement récent du marché du travail, désormais priorité de la Fed. Cette priorité l’emporte même sur la crainte d’une inflation qui repartirait à la hausse.

Nous souscrivons entièrement à cette position, surtout parce que le taux directeur américain reste, selon nous, trop élevé après une politique monétaire irréfléchie en 2022 et 2023. L’affaiblissement du marché du travail ne nous inquiète pas à ce stade. En effet, compte tenu de la démographie, il permet d’éviter une augmentation excessive de la masse salariale et une surchauffe de l’économie.

Graphique 2 : Évolution attendue du taux directeur américain

Évolution attendue du taux directeur américain

(Prêtez également attention à la ligne verte : C’est la prévision faite le 3/10/2024. En dépit de tout, bien peu a changé.)

Le niveau actuel de valorisation des Bourses aux États-Unis et en Europe laisse peu de marge face aux chocs économiques ou géopolitiques. De telles mauvaises nouvelles se traduiraient spontanément par des corrections de cours relativement marquées. Après la récente envolée des valeurs technologiques, la crainte d’un remake de la bulle des dot-com du tournant du siècle redevient très palpable.

Malgré un contexte géopolitique trouble et l’incertitude qui l’accompagne, le NASDAQ, le S&P 500 et, en Europe, la défense et les banques ont encore accéléré sur la voie haussière. Une voie empruntée après la frayeur initiale provoquée par le drame dans la roseraie de la Maison-Blanche, le 2 avril, quand Trump a annoncé les droits d’importation.

À la différence de 2000-2001, les marchés s’appuient aujourd’hui sur un nombre limité de méga-entreprises, riches de solides lettres de noblesse et, surtout, de bénéfices robustes.

Ce qui propulse surtout les cours des actions ? La perspective d’une accélération des résultats d’entreprise au cours des trois prochains exercices boursiers, portée par de nouveaux investissements dans l’IA et par les économies de coûts qu’elle pourrait générer. De telles promesses de croissance exercent une attraction irrésistible sur les investisseurs.

Graphique 3 :  Augmentation attendue des résultats des entreprises au cours des 3 prochaines années.

Augmentation attendue des résultats des entreprises au cours des 3 prochaines années.

Remarquez également le retard de croissance dans la zone euro. Le manque de croissance constitue le défi majeur de la politique économique européenne pour la prochaine décennie.

Les bonds les plus spectaculaires s’observent chez les entreprises chinoises d’IA, des apps d’IA spécifiques (telles que BigBear.AI ou SoundHound) et chez des acteurs du calcul quantique (Rigetti, D-Wave, IONQ), ainsi que chez ceux qui ont annoncé une alliance surprenante avec des sociétés d’IA (AMD, Broadcom, Oracle).

Graphique 4 : Spectacle sur les marchés...

Spectacle sur les marchés: quantum computing, AI apps and suppliers.

Le grand bond (quantique) en avant

L’envolée des valeurs chinoises de l’IA n’a rien de surprenant. Les autorités doivent miser sur l’automatisation radicale de l’industrie pour compenser une chute démographique inédite. Reste que le profil de ces entreprises est trop peu connu et qu’elles sont particulièrement avares d’informations à l’égard des investisseurs étrangers.

Les apps américaines d’IA spécifiques justifient leur bond boursier, gigantesque, par une étude récente du MIT, université de renom, qui montre que, jusqu’ici, la rentabilité des investissements en IA est directement liée à l’usage d’apps d’IA spécialisées. Les applications d’IA bricolées en interne se révèlent, dans 95% des cas, fortement déficitaires.  D’où des valorisations extrêmement élevées pour les sociétés qui fournissent ce type d’apps d’IA.

Le calcul quantique ouvre des perspectives sans limites et transformera en profondeur, demain, la cryptographie (création de codes robustes et chiffrement sûr des données) et la cryptoanalyse (décodage de ces codes). Une fois le Q-day3 en vue, plus aucun code traditionnel ne sera à l’abri, ce qui pose des défis extrêmes pour la sécurité numérique d’internet, et plus spécifiquement pour les cryptomonnaies, les communications et le secteur bancaire. Quand exactement ? Quelque part entre 2030 et plus tard…

Le concept même du calcul quantique peut susciter des percées spectaculaires dans des domaines scientifiques, économiques et sociétaux très variés.

Le principal écueil, toutefois, est physique. Pour obtenir des résultats stables, ces superordinateurs doivent agréger au moins 1 million de QBITS4 (ou qubits). À ce stade, on n’y parvient qu’avec 1.000 qubits et les résultats de calcul restent entachés d’une large marge d’erreur. Le problème est le plus aigu sur deux plans. D’une part, il faut améliorer sensiblement la connectivité entre ces nouveaux types de microprocesseurs ; d’autre part, la conductivité de l’énergie doit être suffisamment élevée.

Or, cette conduction de haute qualité ne se trouve que dans les terres rares et les métalloïdes par lesquels nous avons commencé cette histoire…

1 Les deux sont particulièrement importants pour la transmission des données et l’efficacité des microprocesseurs.

2 En raison de la confusion sur l’origine précise qui peut apparaître lorsqu’il y a plusieurs destinations intermédiaires.

3 Il s’agit d’un concept qui désigne le moment où le calcul quantique pourra casser, à court terme, tout code traditionnel (même lorsqu’il a été créé par des superordinateurs).

4 Contrairement aux bits « classiques » qui valent 0 ou 1, les qubits peuvent aussi prendre des valeurs intermédiaires. 

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