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Le travail ennoblit (de moins en moins)
22 août 2025
Cela a suscité une surprise croissante, mêlée à la fois d’admiration et d’envie : les marchés financiers ont réussi à se frayer un chemin vers le haut avec beaucoup de persévérance et de résilience. Et ce, malgré le sombre contexte géopolitique et le comportement inconstant de la Maison-Blanche, qui a bombardé ses partenaires commerciaux de hausses tarifaires arbitraires.
On pourrait presque croire que les marchés des actions sont tombés un jour dans un chaudron de potion magique et qu’ils possèdent depuis des pouvoirs surnaturels. Mais l’explication de cette bravoure est en réalité plus terre-à-terre.
D’une part, les excellents résultats des entreprises américaines au deuxième trimestre 2025 constituent un solide amortisseur qui a pu absorber l’impact des nombreuses mauvaises nouvelles sur le front politique. 80 % des entreprises ont réalisé des bénéfices supérieurs aux attentes. Ce sont surtout les révisions à la hausse pour les trimestres à venir qui ont été particulièrement saluées[1]. Les chiffres européens, en revanche, étaient un peu moins réjouissants.
Le deuxième facteur qui explique le comportement héroïque des marchés boursiers est lié à la ferme conviction que la révolution de l’IA entraînera une nouvelle croissance des bénéfices des entreprises, voire une accélération grâce à un bond spectaculaire de la productivité.
Cette réflexion a encore été renforcée il y a quelques jours par une étude de Morgan Stanley (MS), dont les publications impactantes ne sont jamais faites à la légère[2]. Après quelques calculs approfondis et hypothèses plausibles, MS prévoit des économies de près de 1 000 milliards de dollars par an (!) pour les 500 plus grandes entreprises américaines, dès que les applications d’intelligence artificielle auront atteint leur vitesse de croisière. Un tel postulat se traduit aisément par des valorisations boursières plus élevées, tant pour les entreprises qui fournissent des outils d’IA que pour celles qui en font un usage intensif.
Ce gain d’efficacité sans précédent repose avant tout sur la baisse attendue des frais de personnel. Ceux-ci représentent toujours - mais dans une moindre proportion - le poste de dépenses de loin le plus important. Ce sont surtout les emplois administratifs répétitifs ou les activités dont la structure décisionnelle est relativement simple qui sont des proies faciles pour les applications d’IA générative. MS indique même que 90 % des emplois seront directement ou indirectement impactés par la prochaine vague d’applications d’IA. Les seules fonctions qui sont moins exposées sont celles à forte composante physique ou nécessitant des interventions dans un environnement en constante évolution.
Ne vous attendez toutefois pas à des mouvements brusques. Une telle évolution se manifeste très progressivement, même si elle va effectivement à terme - inutile de se voiler la face - faire disparaître un grand nombre d’emplois. Dans le cas de l’IA, nous nous attendons à ce que cela concerne principalement les activités administratives. Lors des précédents efforts d’automatisation, ce sont principalement les tâches manuelles et exécutives qui ont été remplacées par des robots. La perte d’emplois est en partie compensée par la création de nouveaux emplois, mais en moins grand nombre et avec des exigences de qualification plus élevées.
L’une des conséquences positives est que les biens et les services peuvent désormais être produits de manière plus efficace et donc toucher un plus large éventail de consommateurs. Les volumes produits augmentent alors pour répondre à la demande, ce qui entraîne aussi une nouvelle croissance de l’emploi.[3]
La vague d’automatisation qu’a connue l’industrie au cours des 30 dernières années a eu un effet secondaire bien documenté : une pression à la baisse sur les salaires. Cela explique, d’une part, pourquoi les salaires représentent une part de plus en plus réduite du PIB et, d’autre part, pourquoi l’inflation salariale est restée relativement limitée, malgré la croissance économique que nous avons connue ces dernières décennies.
L’évolution du ratio du nombre de travailleurs par million de dollars de bénéfice net d’exploitation généré au cours des 20 dernières années est très parlante. J’ai calculé ce ratio pour les 500 plus grandes entreprises américaines.
Graphique 1 : Évolution du ratio du nombre de travailleurs par million de dollars de bénéfice net d’exploitation

Le futurologue Roy Amara lance ici un avertissement important. La fameuse « loi d’Amara » stipule que nous avons toujours tendance à surestimer les effets à court terme de la technologie et à sous-estimer ses effets à long terme. La surestimation conduit à des bulles financières, tandis que la sous-estimation entraîne des pertes d’opportunités.
Les applications d’IA actuelles[4], qui ont pourtant déjà mobilisé 40 milliards de dollars d’investissements, rapportent jusqu’à présent beaucoup moins que prévu. Une étude publiée récemment (lundi 18 août 2025) par le prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT) révèle que 95 % des entreprises utilisant des applications d’IA n’ont jusqu’à présent pas observé de contribution significative à leurs bénéfices. Même si l’intelligence artificielle est utilisée pour des recherches, comme support de discussion ou comme source d’informations, elle ne trouve pas encore sa place dans les applications opérationnelles.
La cause principale réside dans le fait qu’il faut tenir compte d’un contexte qui évolue tellement rapidement que la courbe d’apprentissage des applications d’IA n’arrive pas à suivre le rythme. Des formes plus récentes et plus avancées, comme l’IA adaptative[5], sont capables de décider de manière autonome, voire d’anticiper et de s’adapter plus rapidement à un contexte en mutation rapide et à de nouveaux facteurs environnementaux. Mais ces applications ne sont pas encore suffisamment répandues.
Les résultats de cette étude, désormais largement diffusée, ont laissé une profonde trace de dévastation sur les marchés technologiques au cours des derniers jours.
Graphique 2 : Évolution des indices et des actions liés à l’IA

Comme c’est souvent le cas, la vérité se situe quelque part entre la position de MS et celle du MIT. On peut cependant en tirer une leçon : il n’y a pas de place pour les interprétations naïves ni pour les comportements spéculatifs, pas plus que pour le catastrophisme. Si les entreprises qui misent fortement sur des sous-tâches spécifiques sont parvenues à augmenter considérablement leurs bénéfices grâce à des efforts intensifs en IA, cela ne concerne pour l’instant que 5 % des entreprises interrogées. À chaque fois, cette démarche a nécessité le recours à une expertise externe hautement spécialisée. L’IA n’est donc pas faite pour les amateurs.
Pendant ce temps, Jay Powell, le très contesté président de la Fed, a pris la parole à Jackson Hole, dans le Wyoming, où se tient la grand-messe annuelle des banquiers centraux. Sa mauvaise réputation le précède et les marchés financiers retiennent leur souffle.
[1] Pourtant, il y a également eu des pertes cuisantes lorsque les perspectives pour les trimestres à venir ont été revues à la baisse, même dans les cas où cet ajustement reposait uniquement sur un principe de prudence. Une révision est compréhensible dans ce climat économique incertain, mais elle est interprétée comme un manque de compétences managériales.
[2] Morgan Stanley (Stephen Byrd) : AI adoption and the future of work. (17.08.2025)
[3] Les économistes appellent cela l’effet Jevons.
[4] Les applications d’IA générative sont des modèles d’intelligence artificielle conçus pour générer de nouveaux contenus sous forme de textes écrits, de fichiers audio, d’images ou de vidéos.
[5] Les systèmes d’IA adaptative adaptent leur algorithme et leur processus décisionnel avec une grande autonomie lorsqu’ils constatent des changements dans les données d’entrée ou le contexte dans lequel ils opèrent.
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