What a wonderful world this could be

17 juillet 2025

Armés de bouchons d’oreilles et de masques pour les yeux, les marchés financiers semblent, pour l’instant, ignorer les tensions géopolitiques croissantes et une avalanche de nouvelles inquiétantes.

Une fuite en avant, dites-vous ? Un déni naïf de la réalité sombre, semblable à la chute d’Icare ? Ou bien les bourses ont-elles raison de se concentrer sur les tendances fondamentales plutôt que sur l’agitation du moment ? 

Les résultats solides des entreprises à Wall Street au premier trimestre 2025, les révisions à la hausse des prévisions de croissance des bénéfices et une pression inflationniste modérée offrent une base solide aux cours boursiers. De plus, certains ajustements spécifiques à l’impôt des sociétés dans la loi budgétaire de Trump, la Big Beautiful Bill, pourraient réduire sensiblement leur facture fiscale. 

Des bénéfices d’entreprise robustes, une inflation sous contrôle – ce qui pourrait ouvrir la voie à une baisse des taux d’intérêt – un climat des affaires favorable et de nouveaux thèmes d’investissement prometteurs. What a wonderful world this should be...

Pourtant, la politique commerciale désastreuse et la gestion chaotique de Trump freinent l’envolée des marchés d’actions. La confiance en la croissance future se renforce néanmoins, avec des tendances qui soulignent l’importance croissante de l’automatisation (dont l’IA est une composante clé) et un changement de cap économique en Europe, stimulé par une augmentation des dépenses de défense et une politique budgétaire plus expansive en Allemagne.

Trump, la tondeuse à gazon

Les perspectives de croissance des marchés américains confirment nos choix d’investissement antérieurs, avec une forte emphase sur les entreprises technologiques de qualité, notamment dans les semi-conducteurs, l’IA, la robotique et l’automatisation. En Europe, ce thème d’investissement est relativement nouveau, mais des ajustements sont nécessaires vers le secteur de la défense et des entreprises capables de rivaliser avec la domination croissante des géants technologiques américains et chinois.  

Avec de nouveaux sommets atteints par les bourses européennes, l’indice FTSE, ainsi que les indices S&P 500 et NASDAQ (exprimés en monnaie locale), les investisseurs montrent leur foi en l’avenir. Certes, les décisions chaotiques et les annonces impulsives du président américain sont très dérangeantes et aussi agaçantes que le bruit de la tondeuse à gazon d’avant-guerre de votre voisin, mais vous savez que cela s’arrêtera un jour et vous apprenez à vivre avec en attendant. 

Graphique 1 : Évolution de plusieurs indices boursiers depuis le 01/01/2025

Évolution de plusieurs indices boursiers depuis le 01/01/2025

Les marchés boursiers européens trouvent leur élan grâce aux secteurs de la défense et des banques. Ce dernier tire parti de la différence entre les taux interbancaires et la rémunération des produits d’épargne. Cependant, si la BCE décidait de réduire significativement ses taux directeurs, cet avantage pourrait s’évanouir.

Il va sans dire que nous sommes conscients de la redoutable falaise que nous n’avons pas encore contournée : les différends commerciaux entre la zone euro et les États-Unis déboucheront sur des tarifs négociés ou imposés, probablement début août.

Pour être clair, notre inquiétude ne se porte pas tant sur les entreprises européennes, mais plutôt sur les répercussions possibles pour l’économie américaine. Les États-Unis ne sont pas en mesure d’augmenter la production locale suffisamment et rapidement.

La demande des Américains en biens de consommation dépasse largement la capacité des usines américaines à les produire. En conséquence, cette demande accrue pourrait rapidement épuiser la réserve de main-d’œuvre disponible, déjà limitée, pour produire des biens à faible, voire sans valeur ajoutée. Les produits européens, mexicains ou canadiens, plus lourdement taxés, ne pourront être remplacés par des produits locaux. Cela entraînera soit une hausse significative des prix pour les consommateurs, soit des rayons de magasins vides. Les conséquences ? Des clients frustrés, peu de créations d’emplois et une pression inflationniste à la hausse qui repoussera encore les baisses de taux espérées de la Réserve fédérale américaine.

N’oublions pas non plus que la faible inflation de ce siècle, hormis la récente flambée, est largement due à la mondialisation. Celle-ci a permis de maintenir les prix bas aux États-Unis grâce à l’importation de biens produits ailleurs à moindre coût. Si cet élément disparaît, les prix à la caisse augmenteront rapidement. Et cette mesure touchera principalement les ménages à faibles revenus.

Jusqu’à présent, l’impact inflationniste des hausses tarifaires aux États-Unis a été modéré, avec même des augmentations de prix inférieures aux attentes. Mais cela s’explique principalement par un rebond naturel après les sommets atteints ces deux dernières années et par l’anticipation des directeurs d’achat américains, qui ont stocké en masse des mois avant que la violence tarifaire ne frappe. Ainsi, le déficit commercial américain a atteint des profondeurs inédites.

Graphique 2 : Évolution du déficit commercial mensuel américain

Évolution du déficit commercial mensuel américain.

Bien que ces facteurs aient joué un rôle, ils ne suffisent plus à compenser l’impact croissant des tarifs d’importation. Le dernier rapport sur l’évolution des prix à la consommation en juillet montre que l’inflation américaine a fait ses premiers pas dans la mauvaise direction, atteignant 2,7 %. Pour l’instant, la hausse des prix à la consommation liée aux tarifs reste modérée, mais elle est appelée à s’accélérer. L’inflation prévue pour l’année prochaine est de 3,4 %. Un niveau largement supérieur au budget de la banque centrale américaine (Fed), ce qui ne l’incitera donc pas à procéder spontanément à des baisses de taux d’intérêt. 

Graphique 3 : Évolution des prix à la consommation aux États-Unis

Évolution des prix à la consommation aux États-Unis

Pendant ce temps, Trump a pointé sa baguette magique en direction du Royaume-Uni, qui a bénéficié d’un traitement exceptionnellement bon. Derrière cette manœuvre se cache une intention claire : semer la discorde au sein des États membres de la zone euro. Dans la foulée, le président américain a choisi de s’en prendre à des adversaires plus vulnérables, comme le Vietnam et l’Indonésie, qui ont peu de moyens pour riposter. Cela devrait contribuer à effacer l’humiliante défaite contre la Chine – après que les Chinois ont presque totalement interrompu l’approvisionnement en terres rares, les États-Unis ont dû réduire de manière radicale leurs droits de douane sur les importations.

La zone euro se trouve maintenant dans le collimateur, mais le Vieux Continent doit puiser dans sa confiance en sa force économique et ne pas céder aux sirènes des politiciens à courte vue réclamant des mesures de rétorsion.

Notre atout majeur réside dans la taille de notre marché intérieur et l’efficacité de notre appareil de production. Les produits de base bon marché en provenance de Chine, d’Inde et du Vietnam maintiendront notre inflation à un faible niveau. Par ailleurs, les matières premières devenues trop coûteuses pour l’industrie américaine en raison des tarifs d’importation seront disponibles en Europe à des prix très compétitifs. S’agissant des marchandises, le déficit commercial des États-Unis avec la zone euro est somme toute assez limité (par rapport au Mexique ou à la Chine). Il convient aussi de rectifier les chiffres en tenant compte des importations en provenance d’Irlande, largement issues d’entreprises américaines ayant élu domicile sur l’île vert émeraude pour des raisons fiscales. De plus, les États-Unis jouissent d’un excédent commercial notable avec l’Europe dans le secteur des services.

Il pourrait être tentant pour l’Europe de riposter. Mais ce serait une erreur stratégique. Mieux vaut investir dans notre résilience future.

La patience est de mise, car les États-Unis s’affaiblissent eux-mêmes avec leurs tarifs élevés sur l’acier, l’aluminium et le cuivre, et l’épuisement de leurs ressources humaines. Cela permettra à l’Europe de compenser rapidement les taxes à l’importation par une croissance de sa compétitivité.

Tout n’est pas noir ou blanc. Les États-Unis ont des raisons valables d’imposer un tarif d’importation de 10 %, voire plus, à l’Europe. Les taxes européennes sur les géants technologiques américains et les droits de douane sur les voitures américaines sont perçus comme une provocation. Plus généralement, les taux de T.V.A. élevés sur les produits américains créent un désavantage concurrentiel pour les États-Unis, justifiant ainsi une compensation par un tarif d’importation accru. L’UE doit éviter de céder trop rapidement, une leçon que le Vietnam a apprise à ses dépens. Mais ce pays, faute de leviers, a peu de moyens de riposte.

Préparez-vous donc à une période de volatilité dans les semaines à venir, attachez vos ceintures et gardez votre sang-froid face aux turbulences. 

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