Stop making sense

8 décembre 2020

Les bourses mondiales semblent s’entendre pour afficher en un temps record des progressions spectaculaires. Une hausse bien orchestrée, dont les marchés américains continuent cependant à donner le la. La flambée historique[1] des cours en novembre concerne en tout cas une palette beaucoup plus large d’indices d’actions. L’enthousiasme boursier à l’échelle mondiale crée d’autant plus d’espoir qu’il est porté largement par des secteurs très divers. La hausse des marchés est donc moins dépendante des performances de quelques grands noms.

Graphique 1 :  Évolution de l’indice mondial des actions par rapport à l’évolution du nombre de contaminations au Covid-19.

Évolution de l’indice mondial des actions par rapport à l’évolution du nombre de contaminations au Covid-19.

La faiblesse des taux d’intérêt, la perspective de disposer d’un vaccin efficace et l’inattendue force du redressement des résultats d’entreprises ont alimenté cette hausse généralisée.

Cette poussée de fièvre boursière soulève tout de même quelques questions. Les investisseurs ont-ils raison d’anticiper dès à présent une réouverture complète de l’économie et un retour aux habitudes de consommation antérieures, comme si rien de fondamental ne s’était passé ? C’est vraisemblablement prématuré parce que le virus sévit comme jamais aux États-Unis et semble seulement reprendre son souffle en Europe. Pour l’heure, nous maintenons nos positions dans nos fonds complémentaires, qui nous ont si bien protégés contre une dégringolade des cours durant la première vague du coronavirus.

La rotation sectorielle qui s’est produite sur les bourses mondiales en novembre reposait simplement sur l’hypothèse que les secteurs les plus gravement touchés par la pandémie (comme le tourisme et les (grandes) banques) se redresseraient également le plus rapidement au sortir de la crise sanitaire. 

Graphique 2 : Évolution des secteurs bancaire et touristique européens par rapport aux indices NYSE Fang et Nasdaq (indices return en euros). Les gagnants et les perdants en 2020 en une seule image. 

Graphique 2 : Évolution des secteurs bancaire et touristique européens par rapport aux indices NYSE Fang et Nasdaq (indices return en euros). Les gagnants et les perdants en 2020 en une seule image.

Mais il ne fait pas de doute que le virus prépare déjà une troisième offensive et qu’il pourra compter – lorsqu’il lancera son attaque – sur l’aide redoutable du Général Hiver. À ce moment-là, les dispositifs de vaccination n’auront pas encore atteint une échelle suffisante pour opposer au virus une résistance digne de ce nom.

Ce scénario prévisible motive notre décision de conserver nos choix sectoriels actuels. Cela ne nous empêche pas de prendre déjà des positions dans des actions cycliques de qualité, mais nous restons éloignés des industries affaiblies structurellement. Dans l’ère post-pandémie, le tourisme souffrira en effet encore pendant plusieurs années. Et la bonne progression actuelle des cours des actions bancaires n’est due qu’à la disparition de la crainte de voir les taux d’intérêt tomber encore plus bas[2]. Fondamentalement, ce secteur reste plombé par une rentabilité faible, la nécessité de procéder à des investissements considérables et des obligations administratives colossales.

Nous suivons un raisonnement similaire à l’égard de l’affaiblissement notable du dollar américain par rapport à l’euro. Cette dépréciation a mangé une bonne partie de la hausse récente des indices d’actions américains (du point de vue d’un investisseur européen, naturellement).

Pourquoi le billet vert voit-il son aura pâlir autant à ce moment précis ? Plusieurs réponses plus ou moins convaincantes sont apportées à cette question. Les investisseurs partent-ils du principe que l’économie européenne se redressera plus vite que l’activité américaine, tout simplement parce que le Vieux Continent a subi, au printemps, l’impact du virus de manière beaucoup plus dramatique ? On pourrait y rétorquer que, question ressort économique, Oncle Sam s’est toujours montré plus dynamique que la vieille Europe.

Faut-il l’attribuer alors au fait que Trump s’est finalement résigné à sa défaite ? Les marchés s’attendent-ils à ce que Biden mène une politique étrangère moins conflictuelle, ce qui permettra à l’Europe et à la Chine de retrouver un accès beaucoup plus aisé au (gigantesque) marché de la consommation américain ? Le président élu s’est pourtant empressé de déclarer qu’il n’annulera certainement pas immédiatement les droits de douane instaurés par son prédécesseur. Une telle décision tiendrait en effet de l’énorme gaffe politique, tant à l’international que sur le plan domestique.

Pour l’instant, les leaders politiques américains ont d’autres chats à fouetter : ils doivent trouver un accord politique sur un plan de soutien économique. Si aucune fumée blanche n’est encore sortie des négociations sur cette mesure cruciale, des signes très encourageants indiquent qu’un tel accord est à portée de main.  Ce paquet de mesures doperait à ce point l’économie qu’il est de nature à faire remonter quelque peu les taux d’intérêt à long terme aux États-Unis, en termes tant absolus que relatifs par rapport à l’Europe. Mais cette perspective devrait précisément renforcer le dollar et non pas l’affaiblir comme c’est le cas à présent.

Graphique 3 : Différentiel des taux d’intérêt entre les États-Unis et la Zone euro.

Graphique 3 : Différentiel des taux d’intérêt entre les États-Unis et la Zone euro.

À moins que la véritable raison de la baisse du dollar soit le comportement spécifique de la banque centrale chinoise qui œuvre pour garder un yuan fort. À l’origine, elle menait cette politique en augmentant les taux d’intérêt interbancaires sur les marchés monétaires à court terme. Mais cette action contrecarrait la relance économique s’appuyant sur des dépenses publiques massives, le soutien aux dépenses de consommation et des taux d’intérêt de financement faibles.

Et puis, pourquoi faire compliqué quand on peut tout simplement se contenter de déverser sur le marché une masse de dollars de la réserve de la banque centrale. Ces ventes de dollars ont un effet plus direct et s’accompagnent de moins d’effets secondaires économiques négatifs. Le yuan s’apprécie donc vis-à-vis du dollar américain, ce qui affaiblit aussi, indirectement, le billet vert par rapport à l’euro (parce que la banque centrale chinoise vend des dollars et rachète dans une mesure limitée des euros).

Les indicateurs conjoncturels, tant pour les secteurs des services que pour l’industrie, se sont d’ailleurs affaiblis (légèrement) aux États-Unis alors qu’ils continuent à gagner en puissance en Chine. 

Graphique 4 : Évolution des prévisions conjoncturelles américaines et chinoises 

Graphique 4 : Évolution des prévisions conjoncturelles américaines et chinoises

Notre modèle de l’évolution attendue du cours de change US$/€ prend en compte des différentiels de taux d’intérêt et d’inflation entre, d’une part, les États-Unis et, d’autre part, l’Europe et la Chine, mais également du comportement du cours de change du yuan. Il n’en ressort aucune explication de l’affaiblissement récent du dollar américain.

Graphique 5 : Évolution du taux de change dollar américain/euro par rapport à la valeur indiquée par notre modèle, qui est fondé sur des indicateurs fondamentaux.

Évolution du taux de change dollar américain/euro par rapport à la valeur indiquée par notre modèle, qui est fondé sur des indicateurs fondamentaux.

Et si c’était l’espoir d’un deal sur le Brexit, ce qui renforcerait relativement l’euro ? Et si…

Nous ferions mieux de nous concentrer sur les tendances à long terme et accepter (en définitive) que certains des mouvements quotidiens se produisent au jour le jour sur les marchés financiers sans le moindre fondement rationnel.

Stop making sense[3].

[1] Au niveau mondial, la progression des cours observée en novembre 2020 se hisse à la cinquième place des plus fortes hausses mensuelles depuis 1970. En Europe, c’est même la 4e meilleure performance mensuelle en 50 ans. Et aux États-Unis, la bourse d’actions a fait mieux que dans 99 % de tous les mois précédents. 

[2] Le secteur financier ne pèse cependant pas lourd dans les indices boursiers, si bien qu’y être totalement absent n’implique pas un trop grand risque. Ce risque est contrecarré (avec succès jusqu’à présent) par la prise de participations dans des entreprises liées indirectement au secteur financier, mais qui ne subissent pas les inconvénients d’un rétrécissement des marges bénéficiaires en raison de la faiblesse des taux d’intérêt. Les choix les plus évidents concernent les entreprises de sécurisation internet, les consultants et les systèmes de paiement.

[3] Avec nos remerciements aux Talking Heads. Et, à propos, un petit conseil pour le réveillon de Noël. Regardez donc (à nouveau) leur film concert (qui a raflé tous les prix). Vos convives des réveillons passés vous manqueront moins.  

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