Young man, go west

29 julliet 2022

Au haut Moyen Âge, les Flamands de nos contrées connaissaient parfaitement la signification imagée de ce dicton typiquement néerlandais dont la version française la plus courte serait « l’arroseur arrosé ». Et pour cause : le jeu de paume était si populaire à l’époque que l’Église l’avait interdit parce qu’il détournait tant les moines que leurs ouailles de leurs tâches quotidiennes. La noblesse française avait fait fi de cette interdiction. Si bien qu’en l’an 1600, Paris comptait pas moins de 300 (!) terrains de jeu de paume couverts. Lors du règne des ducs de Bourgogne, le jeu a fait sa joyeuse entrée dans les Plats Pays qui en ont quelque peu tronqué le vocabulaire, avant de conquérir l’Angleterre. Les règles ont évolué et le jeu est devenu le tennis actuel.

La présidente de la Chambre des représentants, numéro 2 dans la succession si Joe Biden venait à passer l’arme à gauche, a semblé en tout cas ne pas être habitée par cette sagesse séculaire, lorsqu’elle a posé le pied sur le sol taïwanais et dansé devant la grotte du dragon, faisant ainsi monter inutilement les tensions internationales. 

Reste à savoir qui tirera les marrons du feu[i]. Pour éviter de perdre la face sur le plan international, la Chine se voit contrainte à présent de prendre des mesures de représailles menaçantes qui laissent apparaître la conviction croissante dans le chef de Pékin que l’île peut être envahie militairement quand cela sera jugé nécessaire et souhaitable[ii].

Le Kremlin, pour sa part, se frotte les mains face à une telle maladresse, qui a également pour effet de mettre le gouvernement chinois encore un peu plus du côté de la Fédération de Russie. La population de Taïwan ne peut, quant à elle, que constater la remise en question des fragiles équilibres actuels.

Résultat, l’on n’entrevoit toujours pas de détente digne de ce nom sur le front géopolitique. À une exception près : les transports de denrées alimentaires, même limités à quelques cargos, sont plus que suffisants, dans le contexte actuel, pour passer pour un signe symbolique de bonne volonté sur le théâtre politique et apaiser les alliés africains, chinois et indiens de la Fédération de Russie.  Et cette éclaircie élimine aussi un important obstacle pratique. La mise en place d’une zone tampon d’un petit 20 km[iii] de large dans la mer noire permet d’assurer plus facilement la sécurité des bateaux et de leur cargaison. Et, par la même occasion, d’y faire naviguer de plus grands bateaux.

Cette perspective de réouverture des lignes d’approvisionnement du blé d’Ukraine a ainsi donné le coup d’envoi à un reflux substantiel des prix des denrées alimentaires. Ce mouvement réduit en tout cas la pression sur les indicateurs d’inflation, surtout en combinaison avec la baisse des prix pétroliers. La forte augmentation du prix du gaz et la réduction des livraisons russes en la matière tempèrent cependant notre enthousiasme.

Graphique 1 : Écarts de taux italiens, espagnols et portugais par rapport aux taux allemands (obligations d’État à 10 ans)  

Graphique 1 : Écarts de taux italiens, espagnols et portugais par rapport aux taux allemands (obligations d’État à 10 ans)

Toujours est-il que la baisse des attentes inflationnistes à l’automne 2022, combinée à la détente des taux d’intérêt à long terme, à la modération des prix du pétrole et à l’atténuation des craintes d’une pénurie sur les marchés des denrées alimentaires, donne, pour l’heure, aux bourses, l’occasion de respirer.

De surcroît, les résultats des entreprises américaines au deuxième trimestre sont supérieurs de 5,8 % par rapport aux prévisions[i]. Du côté des actions technologiques, les attentes initiales ont même été dépassées pour 80 % des entreprises du secteur. Mais ces bonnes surprises ne garantissent en rien une progression de leurs cours. Plusieurs entreprises semblent en effet se préparer à d’éventuels résultats en baisse au trimestre suivant. Cette perspective défavorable provoque de fortes corrections baissières des cours et fait naître de grandes disparités dans les performances boursières récentes des entreprises technologiques individuelles.

Au terme du mois écoulé, les indices return tant du S&P 500 que du NASDAQ se sont redressés considérablement. Exprimée en euros, la perte annuelle est même quasiment compensée pour les 500 principales entreprises américaines. L’indice return mondial des actions n’est plus, lui aussi, dans le rouge « que » de 4 %.

En euros, le Nasdaq accuse cependant toujours une baisse de 9 %. En dans sa monnaie domestique, cet indice technologique doit même encore rattraper un retard de 18 %. Cette dernière performance n’est guère étonnante en soi : la progression moyenne des bénéfices des valeurs technologiques axées sur la croissance est restée en effet négative au deuxième trimestre. Les résultats sont cependant nettement moins mauvais qu’on le craignait initialement.

Graphique 2 : Évolution des indices MSCI USA, MSCI Europe et MSCI zone euro depuis le 01-01-1992. Indice Return en €. 

Evolutie van de MSCI USA, MSCI Europa en MSCI eurozone sinds 01.01.1992. Nettoreturnindex in €.

Convertis en termes annuels, cela signifie des returns respectifs de 10,5 %, 7,7 % et 6,6 %. Ce dernier rendement est à peine supérieur à celui que les obligations d’État italiennes, espagnoles ou portugaises ont réussi à procurer au cours de cette période. D’où notre plaidoyer sans réserve en faveur de la place de choix à réserver dans les portefeuilles d’actions aux titres américains (certainement aux entreprises technologiques).

Nous maintenons également cet avis pour l’avenir, tout en étant pleinement conscients que les États-Unis sont confrontés également à d’importants défis économiques. Mais pour les relever, les États-Unis sont beaucoup mieux armés économiquement que l’Europe.

La flambée inflationniste contraint cependant la banque centrale américaine à prendre des mesures drastiques. En rehaussant, pour la deuxième fois le 27 juillet, son taux directeur de 75 points de base d’un coup, la Fed adopte un rythme (beaucoup) plus soutenu que par le passé. Mais ce bond de géant infligé aux taux d’intérêt à court terme n’a pas empêché les bourses d’actions de ressentir du soulagement. Après un semestre frustrant de puissance retenue, le NASDAQ a même progressé de 4 %[3] le mercredi 27 juillet, le plus grand saut en avant réalisé sur une séance depuis plus de deux ans.

C’est d’autant plus remarquable que les résultats des entreprises publiés récemment ont montré un taux de croissance négatif pour les entreprises technologiques et des perspectives très mitigées pour le reste de l’économie. Les résultats moyens (publiés jusqu’à présent) sont tout de même 4,5 % plus élevés que prévu. Mais, lors des trimestres précédents, nous nous étions habitués à ce qu’ils soient (encore) nettement meilleurs...

La note d’espoir ici est que cette série de chiffres décevants n’empêche pas les investisseurs de se montrer patients et de se projeter plus loin dans l’avenir. Un exemple typique à cet égard est Microsoft qui, malgré un résultat trimestriel clairement inférieur aux attentes, a néanmoins été récompensée par un bond du cours de son action, en raison de la progression impressionnante de son activité cloud. Des entreprises importantes comme Mastercard et Apple semblent même se moquer des craintes d’une récession imminente en affichant des chiffres trimestriels (et des prévisions) surpassant largement les attentes du marché. Le géant du commerce électronique Amazon a réussi à bluffer tout le monde en annonçant des chiffres de croissance très positifs, surtout dans sa division consommateurs.

En Europe, ce sont les secteurs industriels qui affichent (pour l’instant) la plus forte croissance.

La valorisation générale de la bourse d’actions américaine se situe à un niveau moyen avec un rapport cours-bénéfice (attendu) de 17,6 par rapport à une moyenne à long terme de 17,4. Vu son potentiel de croissance plus élevé, le secteur technologique est (traditionnellement) valorisé à un niveau plus cher. Mais, avec un PE attendu de 22,9, cette valeur ne s’écarte, là aussi, que modérément de 24,4, c’est-à-dire le niveau moyen observé ces 3 dernières décennies. 

Des commentaires (parcimonieux) du président de la Fed, Jay Powell, l’on a déduit que les prochains relèvements de taux suivraient une trajectoire légèrement corrigée à la baisse. Entre-temps, l’économie s’est en effet nettement refroidie. Le PIB américain a encaissé un nouveau recul de 0,2 % au deuxième trimestre de cette année maudite. Cette contraction de l’économie, plus forte que prévu, amènera donc la Fed à se montrer plus prudente.

Avec un relèvement prévu d’un demi pour cent en septembre, suivi chaque fois d’un quart de pour cent en novembre et décembre, le taux directeur de la banque centrale américaine atteindra un pic de 3,25 %. Et, à partir du troisième trimestre de 2023, se dessine déjà la perspective du retour des baisses de taux. 

Graphique 3 : Parcours attendu des relèvements de taux par la banque centrale américaine.  

Verwachte traject van renteverhogingen door de Amerikaanse centrale bank.

Un tel niveau de taux ne déclenche pas forcément une récession économique générale[4]. La probabilité qu’une contraction économique généralisée se réalise (quelque part en 2023) est estimée à 50/50. Le marché du travail et la demande de consommation sont encore suffisamment forts. Les indicateurs ISM et la courbe négative des taux annoncent cependant du mauvais temps.

Cependant, quel que soit son qualificatif, cette donnée ne constitue pas en soi un coup fatal pour les bourses. Plus encore : si le scénario d’une croissance négative se réalise, la probabilité de baisses de taux augmente, ce qui est favorables aux actions.

Quant à l’impact économique d’une récession en Europe, il y a lieu de s’inquiéter davantage. Il faudrait à présent un petit miracle pour éviter le scénario de chiffres économiques substantiellement négatifs en 2023. D’une part, cette perspective empêche la BCE d’utiliser à plein son arme des taux pour lutter contre l’inflation débridée, d’autre part ce n’est après tout pas si grave. La flambée des prix actuelle est en effet liée en grande partie à l’évolution des cours de l’énergie, qui ne pourront refluer qu’à la faveur d’une détente géopolitique. Entre-temps, la probabilité de fortes hausses de taux d’intérêt dans la zone euro a diminué dans une grande mesure (mais un relèvement de 50 points de base avant la fin de l’année reste l’hypothèse la plus réaliste).

Sur les quatre fronts où les marchés d’actions et d’obligations doivent livrer bataille, quelques nouvelles modérément positives sont à retenir. Mais cela peut changer rapidement. Et une percée définitive n’est pas attendue à brève échéance.

L’inflation de base semble ainsi, pour l’instant, se calmer et l’inflation attendue au cours des 5 prochaines années permet d’espérer une baisse drastique des prix de l’énergie en 2023. Les prix du gaz acquièrent cependant une dimension toujours plus inquiétante.

Les prix des aliments et des matières premières (en dollars) évoluent à présent à un niveau inférieur à celui prévalant avant l’invasion.

La semaine dernière, les chiffres de la Covid 19 ont révélé une diminution remarquable du nombre d’infections, mais le virus planifie une grande offensive à l’automne.

Pour l’heure, le conflit géopolitique se poursuit sans laisser entrevoir la moindre issue. La Russie se prépare à engager un mouvement en tenaille pour occuper toute la région du Donbas, alors que l’Ukraine s’estime assez forte pour reconquérir la ville de Kherson dans le sud, avant de fortifier ses positions pour défendre le littoral de la mer Noire, vitale pour son économie. Les deux parties sont encore animées d’une confiance excessive dans leurs propres forces pour aller à la table de négociation.

Mais il ne faudrait pas que le conflit s’étende encore plus. Or, la visite que Nancy Pelosi prévoit d’effectuer à Taïwan pourrait en être le catalyseur. Une action totalement inutile (parce que Joe Biden a déjà affirmé très clairement la position des États-Unis) et d’une portée symbolique très humiliante du point de vue chinois.

Celui ou celle qui frappe trop fort à la porte de l’enfer est responsable, au moins en partie, des monstres qui s’en échappent lorsque la porte s’ouvre.

[1] Nous faisons allusion à un certain Horace Greeley, journaliste au New York Daily Tribune en 1865. Mais, comme toujours, avec les citations célèbres : celle-là s’est également avérée fausse...

[2] Sacrifié sur l’autel de l’opportunisme à courte vue de quelques partis gouvernementaux qui reniflent un butin politique à rafler en déclenchant des élections, précisément au moment où l’Italie ploie sous l’inflation et la hausse des taux d’intérêt, ce qui la conduit tout droit vers une récession économique.

[3] Par rapport au niveau atteint le 01-01-2022, le Nasdaq (exprimé en €) doit encore rattraper 12 %. L’indice mondial (en €) doit encore grimper de 5 % pour sortir de l’ornière. Serait-ce impossible à réaliser d’ici à la fin de l’année ?

[4] Deux trimestres successifs de croissance négative du PIB ne suffisent pas à obtenir la qualification de récession officielle. Ce label n’est octroyé qu’en cas de chute générale de l’activité économique. Il s’agit tout au plus d’une récession technique. Mais tout de même : si cela se dandine comme un canard et que cela caquette comme un canard, c’est vraisemblablement un canard... 

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