3 janvier 2023

Ne craignez pas un énième bilan annuel, plein de lamentations sur les nombreux fléaux apportés par 2022. Nous préférons regarder vers l’avenir et laisser ce paysage d’enfer là où il doit être : enterré profondément sous la résurgence des souvenirs sombres qui ont inondé cette année de malheur.

Non pas que cette catastrophe était a priori impensable, mais plutôt qu’elle était considérée comme improbable parce qu’une dégénérescence telle que celle que nous avons dû subir au cours de l’année écoulée nécessite une telle accumulation de méprises et d’incompétence humaines que personne ne l’envisageait sérieusement.

On ne se lance pas dans une invasion militaire à moins de disposer d’un avantage en nombre de troupes de trois contre un (au moins) et/ou d’un arsenal d’armes supérieur et/ou de réussir à prendre l’autre partie complètement par surprise. Aucun de ces trois éléments n’étant présent, l’invasion russe était sans aucun doute condamnée à s’enliser dans une guerre de tranchées sans espoir.  

La poussée inflationniste au cours des deux premiers mois de l’année dernière était la conséquence inévitable mais seulement temporaire d’une augmentation substantielle de la masse monétaire, suite à l’élargissement des mesures monétaires et fiscales en 2021, à l’augmentation de la consommation privée, aux investissements publics effrénés et aux problèmes (présumés ou non) d’approvisionnement dus à des goulots d’étranglement dans les chaînes d’approvisionnement de l’économie.

Dans chaque cas, il s’agit de problèmes transitoires qui ne nous ont pas inquiétés outre mesure. Dans un premier temps, la Fed n’avait même pas jugé nécessaire d’ajuster sa politique monétaire à cette fin. En décembre 2021, la banque centrale américaine avait prédit sans aucune nuance que le taux zéro resterait maintenu tout au long de 2022 et probablement de 2023. 

Graphique 1 : Augmentations du taux directeur aux États-Unis et modifications prévues dans la zone euro en 2023 et 2024.

Augmentations du taux directeur aux États-Unis et modifications prévues dans la zone euro en 2023 et 2024

Même sous une pression croissante et en dépit d’une série de signaux d’inflation imminente, la Fed a décidé de relever son taux directeur de seulement 25 points de base en mars... pour ensuite gesticuler avec une série de hausses de taux d’intérêt – sentant plus la panique que la perspicacité – et embrouiller largement les marchés financiers par des commentaires apocalyptiques, surtout parce qu’ils soulignaient que la banque centrale avait perdu le nord. D’autant plus que les hausses brutales des taux à court terme n’ont guère d’effet sur les causes de la poussée actuelle de l’inflation, qui est principalement liée à la hausse soudaine des prix de l’énergie et des denrées alimentaires. La méfiance à l’égard de la Fed s’est répercutée sur les marchés obligataires qui ont subi les pires pertes depuis la Seconde Guerre mondiale.

Dans ces circonstances, la BCE avait peu d’alternatives et a dû suivre la banque centrale américaine dans sa trajectoire ascendante afin de maîtriser quelque peu le taux de change USD/euro.

Les marchés financiers effrayés ont traduit l’incertitude émanant de la banque centrale par la crainte de hausses excessives des taux d’intérêt qui auraient pour effet de freiner la croissance économique future et d’aggraver la composante clé des indicateurs d’inflation. La hausse des taux hypothécaires freine en effet l’offre de nouveaux logements, tandis que la demande d’habitations en location continue d’augmenter sous la pression d’un marché du travail robuste.

Graphique 2 : Évolution de l’activité de construction aux États-Unis et taux hypothécaires (à 30 ans

Évolution de l’activité de construction aux États-Unis et taux hypothécaires (à 30 ans

Mais (comme toujours), la panique est mauvaise conseillère. L’inflation suit (pour l’instant) la trajectoire descendante prédéterminée, bien qu’avec des virages dangereux. Bien sûr, il ne faut pas s’attendre à ce qu’une telle poussée inflationniste soit complètement désamorcée en quelques mois, surtout lorsque le choc initial à la hausse des prix à la consommation a été prolongé de manière inattendue par l’invasion militaire et les incertitudes quant à l’approvisionnement futur en énergie et en nourriture en résultant.

Les prix à la consommation baissent avec un décalage de six mois sur un pic antérieur des prix de l’énergie. Ce pic a été atteint en août, après une hausse terrifiante des prix du gaz, lorsque tous les gouvernements européens ont décidé simultanément de reconstituer leurs réserves de gaz pour l’hiver à venir.  

Graphique 3 : Évolution des indicateurs d’inflation aux États-Unis

Évolution des indicateurs d’inflation aux États-Unis

Au mieux, les indicateurs d’inflation pourraient ne poursuivre leur baisse de manière convaincante que vers la fin du premier trimestre 2023. Ceteris paribus1, les économistes toujours réfléchis s’empressent-ils alors d’ajouter...

Nous espérons qu’en 2023, le gouvernement veillera à ce que les augmentations des prix de l’énergie et des denrées alimentaires qui ont été répercutées sur les prix de détail l’année dernière et qui ont initialement déclenché la spirale inflationniste se traduisent également par des baisses de prix à la caisse des grands magasins dans leur trajectoire descendante. Ce serait infiniment plus efficace qu’une énième hausse des taux d’intérêt. Tant le prix du gaz et du pétrole que celui du cuivre, du bois, de l’aluminium, du blé ou du soja, par exemple, sont aujourd’hui inférieurs aux niveaux qui prévalaient avant l’invasion militaire. Parfois même dans une large mesure.

Par ailleurs, il convient d’examiner plus avant si l’évolution des marchés de l’énergie et des denrées alimentaires justifiait une telle hausse des prix, comme nous avons malheureusement dû la subir.

Mais au premier trimestre 2023, une nouvelle situation de catch 222 risque de se produire, dès lors que ce qui freine une nouvelle baisse des bénéfices des entreprises et maintient l’emploi et la consommation privée à des niveaux élevés, oblige simultanément les autorités monétaires à prendre de nouvelles mesures d’étouffement. L’économie reste en effet relativement forte, surtout aux États-Unis mais aussi dans la zone euro, où elle réagit plus vigoureusement que prévu initialement. Cela se reflète en partie dans la hausse notable de l’indice surprise de la zone euro3.

Graphique 4 : Indice surprise dans la zone euro.

Indice surprise dans la zone euro

Cela provoque à son tour de nouvelles hausses des taux d’intérêt, afin d’essayer d’éviter une nouvelle escalade de l’inflation des salaires. Mais cela risque de mettre toute la situation dans une impasse.

Inspirés par l’année que nous avons entamée il y a quelques jours, appelons cela une situation de catch 23. L’augmentation continue de la masse salariale est particulièrement préoccupante et fait resurgir le spectre bien connu de la courbe de Phillips4.

Ce (soi-disant) principe constitue toutefois un concept totalement dépassé qui n’a jamais eu de base empirique et qui n’a aucun fondement théorique, mais qui semble toujours dominer la pensée du gouverneur de la Fed, M. Powell : des taux d’emploi solides et une croissance de l’emploi qui, à leur tour, alimentent la croissance des salaires et oxygènent ainsi le feu couvant de l’inflation.

La banque centrale voit dès lors (à tort) une augmentation du chômage comme un remède à l’inflation et tente donc de provoquer une (légère) récession. Cependant, cela nuit aussi considérablement aux bénéfices des entreprises, ce qui se traduit naturellement par de faibles performances boursières.

Ce cercle vicieux peut être brisé par des baisses substantielles et durables des indicateurs d’inflation, après une stabilisation des prix de l’énergie et des denrées alimentaires. Nous n’excluons certainement pas un tel scénario. De telles attentes sont déjà clairement contenues dans l’inflation attendue5. Tant aux États-Unis que dans la zone euro, cet indicateur indique une inflation annuelle moyenne attendue inférieure à 3 % au cours des cinq prochaines années. Un niveau qui ne nécessite pas de nouvelles augmentations des taux d’intérêt à court terme et qui permet aux taux d’intérêt à long terme de baisser.

Imaginons une croissance économique meilleure que prévu, quelques baisses des taux d’intérêt et un niveau d’inflation inférieur à celui initialement prévu. Le meilleur des deux mondes se situerait-il quelque part au cours du second semestre ? Ceteris paribus...

Si toutes les circonstances restent les mêmes. Une hypothèse typique en économie qui consiste à essayer de prédire le comportement futur d’une variable en laissant toutes les autres variables inchangées. Bien sûr, cela ne fonctionne pas en pratique, mais c’est une hypothèse nécessaire pour modéliser le comportement d’une variable économique.

2 Ce terme largement utilisé provient d’un best-seller de Joseph Heller publié en 1961, dans lequel un groupe de soldats en formation est confronté à toutes sortes de règlements absurdes (a catch). Catch 22 désigne une situation dans laquelle un soldat se fait déclarer malade mental pour échapper à une mission militaire extrêmement dangereuse. Mais si l’on sait qu’une mission est si dangereuse, on ne peut pas être atteint d’une maladie mentale et on doit donc participer.

3 Celui-ci permet de mesurer combien d’indices économiques se comportent mieux (ou moins bien) que prévu initialement.

Un score supérieur à 0 indique de meilleures performances économiques que celles supposées précédemment.

4 Nommée d’après l’économiste néo-zélandais A.W. Phillips qui, en 1958, a cru voir un lien entre la hausse (baisse) du chômage et la baisse (hausse) de l’inflation. Ce concept a été adopté avec enthousiasme au début des années 1960 par de grands noms de l’économie, dont Paul A. Samuelson et Robert Solow. Cependant, dès 1968, Milton Friedman a mis en garde contre l’utilisation de ce soi-disant principe comme outil de politique monétaire. Après tout, il est déjà arrivé qu’une forte inflation s’accompagne d’un chômage élevé et non l’inverse, comme le prétendait Phillips. Cela a été abondamment illustré dans les années 1970. Le légendaire président de la Fed, Paul Volcker, s’était également opposé à l’utilisation de la courbe de Phillips comme outil de politique économique en 1979. Il est très étrange que l’actuel président de la banque centrale américaine se cache derrière le dos (littéralement) large de Volcker tout en invoquant la courbe de Phillips pour justifier sa politique. Tout comme en 2018. À l’époque, cela avait aussi provoqué une débâcle sur les marchés financiers. En tant qu’entraîneur dans le championnat de football belge, Jay Powell aurait une vie professionnelle plus courte.

5 L’inflation attendue est calculée à partir des obligations protégées contre l’inflation. À partir de la différence entre le rendement offert par ces obligations et celui des obligations d’État traditionnelles, il est possible d’estimer l’inflation moyenne attendue à l’avenir sur la base des données du marché. 

Lire plus

  • Quelque part où il pleut toujours, même quand le soleil brille

    19 décembre 2022

    La publication des derniers chiffres de l’évolution des prix au détail aux États-Unis avait paru dégager complètement le ciel boursier. Ces statistiques révélaient en effet un recul étonnant de (presque) tous les indicateurs partiels de l’indice CPI. Seuls les loyers progressent encore (trop) rapidement, alors que la diminution des prix alimentaires sur les marchés mondiaux ne se reflète toujours pas à la caisse des supermarchés . Bien au contraire.

  • Économie 1: Fed 0

    9 décembre 2022

    Malgré une série de tacles brutaux, qui méritaient tous un carton rouge, la Réserve fédérale n’a pas réussi à ralentir la croissance économique. Avec le consommateur américain, un marché du travail costaud sur les flancs et le secteur des services comme attaquant profond, l’économie continue de marquer des points et la défense peut s’appuyer sur une industrie remarquablement résiliente et des investissements publics soutenus. overheidsinvesteringen.

  • Retour au pays des obligations

    28 novembre 2022

    Le sentiment de panique qui s’est emparé des banques centrales a eu pour effet d’accélérer de manière démentielle le relèvement du taux directeur aux États-Unis, ce qui a obligé la BCE à procéder, elle aussi, à des augmentations abruptes de ses taux de dépôt. Tous soupirs et lamentations mis à part, nous nous demandons à présent combien de temps durera cette folie, et aussi quelle en sera l’ampleur.