Un démarrage en force de la technologie et des Magnificent Seven

9 février 2024

Auteur: Vincent Coppée, gestionnaire de fonds chez Argenta Asset Management 

Après un démarrage hésitant, l’indice mondial des actions a progressé de nouveau durant le premier mois de l’année. Mais cette hausse reste toujours assez concentrée, essentiellement dans le secteur technologique, les « Magnificent Seven » ou encore le marché indien. Le débat économique reste vif entre le ralentissement économique mondial et l’espoir des gains de productivité liés à l’intelligence artificielle. De leur côté, les cours obligataires ont fait une pause après leur forte progression de la fin 2023. Les opérateurs de marché tentent d’évaluer les prochains mouvements des banques centrales aux États-Unis et en Europe.

Dans ce rapport, nous analysons en détail les événements de ce début d’année et faisons le point sur le positionnement actuel de nos fonds.

Les marchés d’actions poursuivent leur progression

L’indice boursier mondial (MSCI World) libellé en euros a grimpé d’un peu moins de 3 % en janvier. Comme le montre le graphique ci-dessous, les gagnants et les perdants n’ont pas beaucoup changé par rapport à l’an dernier : le Japon, les États-Unis et l’Inde ont délivré les meilleures performances, suivis par l’Europe. L’indice global des marchés émergents reste à la traîne et la Chine connait à nouveau un début d’année dramatique après le très mauvais résultat de l’an dernier.

Évolution des bourses en Euro

Le secteur technologique de nouveau en vedette

Au niveau sectoriel, nous retrouvons également la même tendance qu’en 2023, à savoir une assez grande dispersion dans les performances et un gagnant indiscutable : le secteur de la technologie, qui gagne 6 % supplémentaires en janvier, accompagné cette fois du secteur de la communication. Les secteurs des matériaux, de l’immobilier et des services publics, de leur côté, sont en recul.

Secteurs économiques

Ce phénomène nous ramène au débat que nous évoquions dans l’introduction : d’une part, l’économie mondiale ralentit toujours, et des secteurs comme les matériaux ou l’immobilier y sont très sensibles. Par contre, l’espoir de gains de productivité porté par l’adoption rapide de l’intelligence artificielle profite particulièrement aux actions de la technologie.

Les Magnificent Seven, ça continue

Après une année record, qui a enregistré des hausses de cours allant de 50 % à 300 %, on aurait pu conclure qu’il serait difficile pour les 7 grandes vedettes américaines de la technologie et des médias de réitérer leur exploit. Et pourtant, comme le montre le graphique ci-dessous, ce début d’année est de nouveau époustouflant pour la majorité d’entre elles.

Magnificent Seven

Amazon progresse en un mois de 4%, Microsoft de 7,5%, Meta de 12%, et Nvidia voit son cours s’envoler de 26%, alors qu’elle avait déjà écrasé la concurrence en 2023 ! Le marché utilise déjà un nouveau vocable, « MNM », en référence à Microsoft, Nvidia et Meta, pour désigner les grands vainqueurs actuels de la révolution de l’intelligence artificielle. Deux exceptions : Apple et surtout Tesla, tous les deux touchés par la situation économique incertaine en Chine.

Les obligations font une pause

Dans notre point trimestriel, nous avons évoqué le rattrapage historique des cours obligataires à la fin de l’année dernière, qui suivait un marché baissier tout aussi historique depuis fin 2021. En ce début d’année les taux d’intérêt montrent une tendance plus hésitante, dans l’attente d’un message clair des banques centrales sur les baisses potentielles de leurs taux directeurs.

Sur le graphique de gauche ci-dessous, on peut voir le rebond temporaire des taux de long terme fin décembre et début janvier aux États-Unis, en Allemagne et en Italie (nos plus grandes positions). Ces dernières semaines, ces taux ont reculé de nouveau. Sur le graphique de droite, on observe l’évolution des indices de cours pour les obligations d’État et d’entreprises (de qualité et de haut rendement) depuis le début de l’année. Les cours des obligations européennes sont en très léger recul. Les obligations américaines progressent, mais c’est essentiellement grâce à la hausse du dollar. 

Évolution historique des taux à 10 ans
Indices obligataires USA/Europe (en Euro)

L’économie mondiale poursuit son ralentissement

Récession probable en Europe, pas (encore) dans le reste du monde

Les indices PMI des directeurs d’achat ci-dessous montrent toujours l’Europe en situation de contraction potentielle de l’économie (sous le niveau de 50). Les derniers chiffres donnent cependant un peu d’espoir, avec une légère remontée. Les États-Unis ont brièvement menacé de passer également sous la barre des 50 avant un rebond en janvier. L’Inde se maintient largement en territoire d’expansion économique. La Chine semble s’améliorer, mais cela parait difficile à croire lorsqu'on suit l’actualité récente (crise immobilière, recul de la consommation).

Enquêtes PMI

Le rebond de la productivité, un allié précieux

Un ralentissement de l’économie n’est pas nécessairement négatif pour les entreprises, en particulier si elles peuvent compenser cela par une augmentation de la productivité, c’est-à-dire du volume de production par unité de travail. Cela leur permet de mieux maitriser leurs coûts, en particulier le coût du travail, et d’augmenter leur rentabilité.

Et c’est ici que les progrès de l’intelligence artificielle peuvent être d’un grand secours, surtout dans un contexte de pression haussière sur les salaires, comme on l’observe actuellement avec un marché de l’emploi qui reste très solide. Ci-dessous, nous observons un rebond de la productivité du travail aux États-Unis depuis la fin de 2022.

Productivité du travail aux États-Unis

Inflation et banques centrales : deux facteurs cruciaux

Un autre grand débat qui anime les marchés en ce début d’année tourne autour de la poursuite de la baisse de l’inflation et la future politique monétaire des banques centrales. Ces deux facteurs auront une influence importante à la fois sur les marchés boursiers et obligataires. 

L’inflation de base poursuit son recul

Comme le montrent les deux graphiques ci-dessous, l’inflation de base, hors alimentation et énergie, poursuit son recul tant aux États-Unis qu’en Europe. L’inflation nominale rebondit légèrement mais les banquiers centraux s’intéressent surtout à l’inflation de base, qui est moins volatile.

Inflation dans la zone euro (base annuelle)
Inflation globale, de base et PCE aux États-Unis

La baisse des taux directeurs aux États-Unis et en Europe : quand, combien, à quel rythme ?

Depuis la mi-décembre, le marché est convaincu que le cycle de la hausse des taux directeurs des banques centrales est terminé. Il attend maintenant le début du cycle de baisses, avec 3 grandes interrogations : quand ces baisses vont-elles commencer, à quel rythme se poursuivront-elles et de quelle ampleur seront-elles ? Ces éléments ont bien entendu de l’importance pour le marché des actions, car une baisse des taux rend les actions plus attractives au travers de la prime de risque. Elle rend également les conditions de financement moins onéreuses et relance potentiellement la consommation par le crédit.

Pour le marché obligataire, c’est plutôt l’inflation qui est le facteur prépondérant, en tous cas pour les taux de long terme. L’impact de la baisse des taux directeurs de court terme est plus incertain. Si, par exemple, le marché conclut que les banques centrales vont trop vite en besogne et que cela risque de raviver l’inflation, l’effet sur les taux de long terme pourrait être néfaste en les poussant à la hausse, et en provoquant ainsi un recul des cours obligataires.

Où en est-on actuellement dans les pronostics ?

Implied Yield for CBoT 30-Day Fed Funds Futures Curves

On observe dans le graphique ci-dessus que le marché anticipe bien une baisse des taux aux Etats-Unis. Les prévisions actuelles sont représentées par la ligne orange. Les chances de voir une première baisse en mars ou avril se sont cependant réduites par rapport à il y a un mois (ligne rouge), après la mise au point du président Powell. Par contre, dès la fin du printemps, on prévoit une série de 4 à 5 baisses, qui devraient ramener le taux directeur autour de 4,3 %. En Europe, la présidente Lagarde a tenté de convaincre les marchés qu’il ne fallait pas s’attendre à des baisses avant l’été, mais étant donné la fragilité actuelle de l’économie européenne, on prévoit déjà un première baisse avant, également vers mai-juin.

Un point sur les résultats d’entreprises

Au moment d’écrire ces lignes, nous nous trouvons au milieu de la période de publication des résultats trimestriels d’entreprises. Le message que l’on peut en retirer pour l’instant est sujet à interprétation. Si l’on regarde en particulier les États-Unis, qui en sont plus loin et où près de 50 % des sociétés ont déjà communiqué leurs résultats, 80 % de ces dernières ont fait mieux que prévu, comme le montre le tableau ci-dessous. La grosse exception concerne le secteur de l’immobilier, où il y a plus de déceptions que de bonnes surprises. Mais les réactions des cours sont assez mitigées jusqu’à présent.

Koersreacties

Par contre, sous la surface, le phénomène de concentration des bons résultats s’amplifie. Les Magnificent Seven, qui ont presque tous publié, affichent en moyenne une croissance des bénéfices en base annuelle de plus de 60 %. Dans le même temps, pour le reste des membres du S&P 500, on observe une baisse de 9 %. Cette énorme différence peut devenir inquiétante si elle perdure, car elle engendre un phénomène de « l’arbre qui cache la forêt », qui peut induire les investisseurs en erreur dans leurs conclusions. Nous suivrons bien entendu cette évolution de près.

Notre positionnement dans les fonds essentiels

Les marchés boursiers ont poursuivi leur hausse en janvier, mais de manière dispersée et très concentrée dans les plus grosses capitalisations, comme nous l’avons vu. Les actions restent historiquement relativement chères en moyenne et les risques de poursuite du ralentissement économique mondial ne sont pas écartés. Dès lors, nous maintenons une légère sous-pondération en actions, autour de 47,5 % pour le profil neutre. En compensation, nous restons assez fortement investis dans les segments les plus dynamiques du marché, notamment ceux liés au développement de l’intelligence artificielle.

En contrepartie, nous maintenons toujours une légère surpondération en obligations, autour de 52 % pour le profil neutre. Malgré le fort rebond des cours en novembre et décembre, les niveaux actuels de taux d’intérêt restent intéressants. Quelques bénéfices ont toutefois été pris dans certaines poches d’investissement.

La réserve de liquidités est maintenue actuellement à un faible niveau car la probable baisse des taux de court terme cette année rend le cash relativement moins attractif.

Au sein des actions

Le poids en actions a légèrement augmenté dans les fonds, pour passer de 46 % à 47,5 % dans le fonds Argenta Portfolio Neutral. Cette augmentation s’est concentrée sur le marché européen, et en particulier le segment des petites et moyennes capitalisations. L’Europe est plus que probablement déjà en récession, et la BCE devrait entamer son cycle de baisse de taux très bientôt. Ces circonstances sont en général favorables à une reprise des marchés boursiers, car les investisseurs commencent à anticiper la reprise économique et sont soutenus par des taux en baisse. De plus la valorisation des petites et moyennes entreprises est encore très raisonnable, certainement quand on compare avec les grosses pointures du marché mondial.

Nous avons pris par ailleurs quelques bénéfices sur nos positions liées à l’infrastructure aux États-Unis. Ces actions ont dans l’ensemble fortement progressé depuis nos achats de fin 2021 et le lancement du plan d’infrastructure par l’administration Biden. Les élections présidentielles approchent et une victoire potentielle de Donald Trump pourrait remettre en cause certaines de ces mesures, en particulier celles liées à l’énergie verte. Nous préférons dès lors prendre quelques mesures de précaution dans nos portefeuilles. Nous avons en contrepartie notamment renforcé notre position en Apple, où nous sommes sous-pondérés par rapport aux indices : en effet, le marché sous-estime selon nous l’ambition d’Apple de devenir également un acteur majeur dans le domaine de l’intelligence artificielle.

Au sein des obligations

Notre surpondération en obligations a légèrement diminué pendant le mois écoulé. Cela est essentiellement dû à des prises de bénéfices sur les obligations européennes à taux variable. Ces obligations nous ont été très utiles pendant la période de hausse des taux d’intérêt, car leurs coupons s’adaptaient progressivement à ces hausses. Dès lors, les cours de ces obligations ne souffraient pas de cet environnement très défavorable aux obligations classiques à coupon fixe.

Mais nous entrons maintenant dans un nouveau contexte, où les taux sont orientés à la baisse. Dès lors, même si ces obligations à taux variables peuvent toujours progresser en termes absolus, elles deviennent relativement moins attractives. C’est avec le produit de ces prises de bénéfices que nous avons augmenté notre poids en actions européennes.

Nous avons également légèrement réduit notre allocation en obligations d’État américaines liées à l’inflation. Les attentes inflationnistes, qui déterminent le cours de ces obligations, étaient remontées ces dernières semaines, tandis que l’inflation réelle continue de reculer. Dès lors, nous avons pris quelques bénéfices, même si nous gardons toujours une position en guise de protection. 

Conclusion

L’environnement macro-économique mondial reste incertain à court terme. Des forces opposées sont à l’œuvre : d’un côté, le ralentissement se poursuit, et le contexte géopolitique suscite toujours des inquiétudes. D’un autre côté, l’inflation mondiale contiue de refluer et la hausse de la productivité soutient les résultats des entreprises. Ce contexte justifie une allocation d’actifs proche de l’équilibre, avec une légère sous-pondération des actions essentiellement dictée par le niveau de valorisation des marchés boursiers.

Nous veillons également à conserver notre biais qualitatif tant au sein des actions que des obligations. Le passé a largement démontré qu’à long terme, ce focus sur la qualité des actifs sélectionnés apporte un surcroît de performance et permet également d’éviter des accidents regrettables au sein des portefeuilles de placements.

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