Nous n'avons plus que nos yeux pour pleurer 2.0

12 mars 2020

Nous ne sommes pas superstitieux, car cela porte malheur. Mais nous ne pouvons nous empêcher de nous rappeler un autre moment de profond désespoir - quelque part en 2015(1) -, quand les paroles légendaires de Karel Wijnendaele nous avaient quelque peu consolés avant que les bourses ne progressent ensuite de manière spectaculaire. Ce qui a été possible alors ne pourrait-il pas l'être à nouveau aujourd'hui... ?

Dans un accès profond d'abattement, le célèbre journaliste sportif avait proféré quelques mots qui étaient entrés d'emblée dans la postérité après la troisième victoire d'affilée, en 1951, de Fiorenzo Magni au Tour des Flandres dans une course où aucun Belge ne s'était illustré par le moindre coup d'éclat, ni même de coup de pédale digne de ce nom. Savait-il seulement que, dans un quartier de Bruxelles, un gamin faisait déjà forte impression sur son tricycle et que, dans la Campine anversoise, un jeune talent sur deux-roues s'apprêtait à faire son entrée sur les routes de la gloire ? Et de Johan, Eric et Tom, il ne pouvait pas non plus en avoir entendu parler.

En un mot comme en cent : il y a toujours une bonne raison d'espérer en l'avenir, quelles que soient les sombres réalités du moment.

Aujourd'hui, l'espoir sur les marchés financiers repose entièrement sur les mesures de soutien attendues et les prochaines baisses de taux décidées par la Fed, la BCE ainsi que les banques centrales chinoise et japonaise. Sans oublier le fait que le virus se consume de lui-même lorsque la température commence à grimper dans l'hémisphère nord. Mais rien n'est moins sûr en réalité. Et cette grande incertitude se traduit par une volatilité qui a monté en flèche sur les bourses d'actions.

Graphique 1 : Volatilité attendue sur les bourses américaines et européennes

Graphique 1 : Volatilité attendue sur les bourses américaines et européennes

Malgré les mesures draconiennes, il semble que la propagation du virus ne puisse pas être arrêtée en Europe, mais seulement ralentie. Les expériences en Chine et en Corée du Sud nous indiquent cependant que le nombre de nouvelles contaminations peut être fortement réduit si des mesures fermes et drastiques sont prises. Malheureusement, ce genre d'action résolue n'est pas le fort de l'Union européenne où, si on en croit le président Trump, on a tergiversé trop longtemps en tentant de ménager la chèvre et le chou. Des chirurgiens à la main molle ne sont pas connus pour leur efficacité. Résultat: il faudra prendre des mesures autrement plus radicales, qui plongeront certainement (mais temporairement) l'économie européenne en récession.

L'interdiction récente des voyages par avion des Européens vers les États-Unis symbolise la manière forte que certains n'hésitent plus à utiliser à présent. S nous ne voyons pas de précédent à une telle humiliation de l'Europe par un hôte de la Maison-Blanche, nous comprenons tout de même cette mesure. D'une part, Trump devait désigner un bouc émissaire à qui rejeter la faute de la hausse du nombre de contaminations aux États-Unis. Et, d'autre part, il n'est sans doute pas faux de prétendre que nous avons attendu longtemps sur le Vieux continent pour fermer les frontières.

Aux États-Unis aussi, on craint de plus en plus une longue récession dans la mesure où il est peu probable que la confiance revienne rapidement dans certains secteurs. Les constructeurs aéronautiques et les compagnies aériennes vont subir des pertes colossales. Quant à savoir si les consommateurs vont reprendre rapidement leurs habitudes de voyage et de consommation, c'est la bouteille à encre. Pour les bateaux de croisière, les agences de voyages, les hôteliers et les chaînes de restaurants, qui pèsent lourd dans le volume d'emploi comme dans les indices boursiers, les semaines et mois à venir ne se présentent pas sous les meilleurs auspices, même après une stabilisation du virus. Pour d'évidentes raisons, le secteur du pétrole et de l'énergie en général semble à éviter pendant un temps certain. Et les établissements financiers (surtout dans la zone euro) ne profiteront guère des prochaines baisses de taux attendues.

Heureusement, nos portefeuilles sont peu, voire pas exposés à ces secteurs. En réalité, le poids des valeurs pétrolières et bancaires dans nos investissements est proche de 0 % depuis quelque temps déjà.  Nous en avions éliminé aussi les croisiéristes en raison de leurs émissions très polluantes. Et, dans le secteur des voyages en général, notre présence n'est que marginale. Nos placements réservent plutôt une place de choix à la technologie, aux utilités publiques, à la biotech et à la pharmacie. Certes, ces positions ne sont pas immunisées contre des chocs imprévus sur les marchés, mais ce sont sans doute elles qui connaîtront le redressement le plus rapide.

La remontée dépendra dans une grande mesure des stimulants économiques et monétaires qui sont à mettre à œuvre pour réduire au maximum la période de la récession et donner le plus de force à la relance.

Aux États-Unis, différentes options sont en discussion. Mais on craint que le parti démocrate, qui dispose de la majorité à la Chambre des représentants, ne fasse traîner les débats. Si l'économie continue à s'enfoncer, l'opposition pourrait en effet reprocher au président actuel de ne pas avoir pris la juste mesure de la crise. Cette stratégie politicienne cousue de fil blanc peut s'avérer cependant non seulement dangereuse pour l'économie, mais également contreproductive sur le plan politique. Les mesures envisagées sont en tout cas de grande ampleur. Elles sont de nature à apporter un soutien salutaire à l'économie, pour autant que le virus se stabilise également aux États-Unis. 

La banque centrale américaine jouera également un rôle déterminant : elle devrait encore réduire son taux directeur de 50 points de base (au moins), vraisemblablement le 18 mars, et fournir d'importantes liquidités aux banques pour éviter tout danger d'assèchement du crédit (credit crunch). 

Imaginez donc : si la menace du virus diminue réellement et que l'économie américaine est soutenue, au second semestre, par des mesures efficaces et des taux d'intérêt extrêmement bas...

Malheureusement, ce scénario de rêve commence par le mot si. Comme on le sait, cette conjonction de subordination est l'élément déclencheur de bibliothèques entières de littérature de science-fiction. Ce scénario n'est cependant pas totalement exclu.

Contrairement au large éventail d'options dont les États-Unis disposent, la zone euro a déjà, dans un passé récent, largement épuisé ses munitions monétaires. Sans atteindre d'ailleurs le résultat escompté. La croissance économique est restée en effet d'une inquiétante faiblesse, même avant l'épidémie du virus.

Nous tablons cependant sur une nouvelle baisse du taux directeur de la BCE, qui amènerait le taux de dépôt à -0,6 %. Il serait souhaitable que cette réduction s'accompagne d'autres mesures pour ne pas fragiliser davantage le secteur bancaire. Il est vraisemblable qu'elles prendront la forme d'une facilité de prêt d'un coût encore plus bas pour les banques, par le biais de ce qu'on appelle TLTRO. Le taux plafond de la BCE (le taux repo) pourrait également passer sous zéro. Les observateurs optimistes espèrent aussi que la BCE achètera des futures sur les marchés d'actions européens.

Mais la principale mesure attendue est la relance du programme QE, en doublant (au moins) le paquet d'obligations détenues. Mais cela requiert d'annuler plusieurs restrictions que la zone euro s'était imposées. On peut espérer que cela ne fasse pas l'objet d'un débat politique entre les États membres de l'UE.

Entre-temps, les investisseurs devront s'armer d'une grande patience. Une patience d'ange même, combinée à des nerfs d'acier. Parce qu'il en faut quand on vous avait annoncé une excellence année boursière en raison de la faiblesse des taux d'intérêt et de bien meilleures perspectives économiques mondiales après l'accord commercial sino-américain. Cet optimisme s'était d'ailleurs traduit par des niveaux de cours au sommet au début de 2020.

Jusqu'à ce qu'une personne, dans une région reculée de la Chine, ait eu l'envie de manger une chauve-souris. Par pure superstition, parce que la chair de cet animal n'est, dit-on, pas vraiment délicieuse. 

(1) Nos souvenirs de cette époque ne sont plus très clairs ...

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