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Du football panique poussé à l’extrême
28 février 2020
Avec la précision d’un sniper et un sens aigu de la dramatisation, une petite séquence d’ADN – qui ne suffit pas à qualifier son titulaire d’être vivant – a réussi à déclencher un scénario économique en apparence implacable.
Au cours des semaines précédentes, les bourses anticipaient encore un rebond économique après la fin des hostilités commerciales sino-américaines et la mise en œuvre des mesures drastiques que les deux grandes puissances avaient décidées pour relancer leur croissance économique.
Les baisses des taux d’intérêt aux États-Unis et le soutien substantiel de la Chine à son appareil productif devaient fournir à l’économie mondiale l’énergie nécessaire pour faire passer l’activité industrielle globale à la vitesse supérieure. L’extrême faiblesse des taux d’intérêt dans le monde, combinée à la surprenante solidité des résultats des entreprises américaines, avait donné le coup d’envoi à une chasse intrépide de records sur les marchés d’actions... qui s’est interrompue brutalement à la mi-février.
Certes, le virus Covid-19 suscitait déjà quelque inquiétude, mais l’attitude résolue des autorités chinoises avait réussi, dans un premier temps, à rassurer les investisseurs sur leur capacité à arrêter la propagation du nouveau virus. L’épidémie aurait pu ainsi n’avoir que peu d’impact, voire aucun, sur les marchés.
Ce scénario optimiste a volé en éclats à l’annonce d’une diffusion inexpliquée du virus en Italie et en Iran et au vu des difficultés manifestes de la Corée du Sud et du Japon à contrecarrer le virus. L’imagination a fait le reste : en Europe, dans l’espace Schengen sans frontières, il n’est pas insensé en effet de craindre une épidémie massive. Et la gestion peu compétente du régime non fiable à Téhéran fait de l’Asie tout entière une proie facile. Les États-Unis constituent également un oiseau pour le chat. La désignation du vice-président Pence en qualité de combattant ultime de la pandémie n’a pas impressionné grand monde. Le virus doit bien rire dans sa barbe en constatant toute l’attention que le monde entier lui réserve.
Après une avalanche de records sur les bourses mondiales au cours des premières semaines de 2020, les chutes des cours des derniers jours nous ramènent aux semaines les plus sombres de la crise de la zone euro en août 2011 et de l’implosion financière en 2008. Mais ces deux périodes de crise constituaient une menace directe et de grande ampleur du système économique, alors que l’épidémie de ce virus sera terrassée dans les mois qui viennent par son ennemi naturel (la hausse des températures), même si d’ici là, elle doit être prise au sérieux.
Cela aurait donné suffisamment de temps aux scientifiques pour mettre au point un vaccin efficace et permis ainsi d’éviter la répétition du scénario catastrophe actuel. La stratégie devait consister à gagner suffisamment de temps en réduisant au maximum le risque de propagation du virus. Cette stratégie fonctionnait d’ailleurs plutôt bien jusqu’à la diffusion mystérieuse du virus dans le nord de l’Italie. Le patient zéro n’a toujours pas été retrouvé. Des mesures drastiques s’imposent donc : des événements sont annulés, des usines et des écoles sont fermées, la consommation et les voyages sont reportés.
Cette évolution pèse incontestablement sur la croissance économique mondiale. Ce coup de mou sera (partiellement) rattrapé ensuite. On pourra même assister, dans une phase ultérieure, à une accélération de la croissance grâce aux mesures de soutien en Chine et à de nouvelles baisses de taux aux États-Unis. Contrairement au scénario dominant antérieur, selon lequel la Fed n’envisageait plus de baisser son taux directeur en 2020, les marchés financiers tablent à présent sur deux nouvelles diminutions, chacune de 25 points de base, en avril et en juillet, et accordent même une probabilité de 50 % à une troisième baisse en décembre.
Quel est le plancher des cours des bourses quand les marchés sont en proie à une telle panique ? Pour y répondre, demandons-nous d’abord en quoi consiste le plancher des prix des actions.
Trois facteurs majeurs sont à prendre en compte à cet égard.
Le premier concerne les attentes en matière de taux d’intérêt. Ceux-ci sont indubitablement orientés à la baisse et donc constituent un facteur de soutien important.
Le deuxième facteur, qui joue aussi le premier rôle, est plus problématique : le taux de croissance attendu des bénéfices des entreprises américaines en 2020 doit être sensiblement revu à la baisse. On sera loin de la progression de 5 % prévue initialement. C’est d’ailleurs le scénario de croissance nulle que la banque d’affaires Goldman Sachs a émis qui a déclenché à la fin de la semaine dernière un véritable carnage sur le NASDAQ. Il va de soi en effet que ce sont les actions de croissance qui sont les plus touchées. Mais il ne fait pas de doute non plus qu’elles rattraperont une partie de leur retard en 2021, sans doute déjà au second semestre de cette année. Cependant, l’incertitude à cet égard est encore trop grande actuellement pour que cela tranquillise le troupeau d’investisseurs paniqués.
Ce sont surtout les actions des secteurs exposés directement au grippage de leur chaîne d’approvisionnement en Asie qui souffrent le plus en bourse. Ce problème sera sans doute temporaire, même si cela se ressentira lourdement au cours de ce trimestre au niveau des volumes de vente et des bénéfices pour quelques poids lourds du secteur technologique. Les valeurs technologiques commencent cependant à devenir bon marché si l’on prend en compte un scénario modéré de redressement. Pour l’heure, le timing de ce redressement est quasi impossible à prévoir.
Il va sans dire qu’il faut encore se tenir à l’écart, pendant quelque temps, des organisations de voyages, des opérateurs de croisières, des compagnies aériennes, des biens de luxe et des marques de sport. De tels mouvements tectoniques sur les marchés financiers sont toujours suivis de répliques.
Ils s’expliquent par les adaptations qui doivent intervenir dans les fonds passifs, les ETF et les fonds quantitatifs qui détiennent des portefeuilles volumineux. Compte tenu des reculs précédents des indices boursiers et de la forte augmentation de la volatilité, ces fonds sont tenus en effet de continuer à réduire leurs positions, ce qui renforce donc la tendance baissière. À présent, les fonds offrant une garantie (de ne pas passer sous un certain plancher) sont confrontés également à leurs limites puisqu’ils sont obligés de vendre pour protéger leur niveau plancher. Ce faisant, ils privent d’emblée leurs clients du redressement qui interviendra ultérieurement.
Ces phénomènes ont surtout été observés au moment de la chute vertigineuse des cours dans les minutes précédant la clôture de la journée boursière américaine du 27 février. Cette dégringolade s’est produite en raison des ventes techniques précitées et du fait que les entreprises ne sont plus autorisées à racheter leurs propres actions durant les 15 dernières minutes de la séance boursière, éliminant ainsi de la scène les derniers acheteurs potentiels. Au fil du temps, cette tendance baissière faiblit et la bourse a à nouveau la possibilité de se redresser.
Le troisième facteur, la prime de risque, s’oriente bien entendu actuellement dans la mauvaise direction. Mais on ne peut pas lui en faire le reproche. Cet indicateur fait simplement son travail : il est logique que, si l’incertitude s’accroît, on exige une rémunération plus élevée pour le risque pris. Ce qui contribue donc à faire baisser les bourses. Ce processus dure jusqu’à ce que le rapport entre les risques craints et la compensation offerte sur la base de la prime de risque plus élevée ait atteint un niveau raisonnable, ce qui correspond malheureusement à des cours plus bas.
Les chutes dramatiques des cours boursiers de la semaine écoulée semblent cependant aller au-delà de la simple correction liée à cette infection virale – aussi menaçante soit-elle – et reflètent surtout une phase de panique des marchés. Il est malheureusement impossible de prévoir le moment précis où les cours en recul ne traduiront plus un scénario pessimiste mais commenceront à apparaître comme une opportunité. La prime de risque ne pourra baisser que lorsque le nombre d’infections non chinoises commencera à diminuer. À ce moment-là, les faibles taux d’intérêt pourront pousser les bourses à la hausse.
Quel esprit machiavélique a pu imaginer une telle chose ? Il faut en effet être particulièrement tordu...
Mais, si c’est le diable, reconnaissons-lui un grand professionnalisme. Comme s’il avait choisi le moment et les endroits pour faire le maximum de dégâts. Tant la Chine (vitale pour le redressement de l’économie mondiale) que l’Italie (particulièrement importante pour la zone euro) ont joué un rôle crucial pour la hausse des cours au niveau mondial. Qu’une telle épidémie se produise précisément là ne peut pas être le fruit du hasard.
Tout n’est pas perdu. Les cours des obligations dans nos fonds essentiels affichent d’ailleurs d’excellentes performances et amortissent en partie les chutes des actions.
En 2019, les bourses mondiales ont connu régulièrement des périodes agitées avant d’afficher au final des progressions plus qu’honorables. Les chutes auxquelles nous avons été confrontés à un rythme effréné la semaine dernière correspondent à l’impact combiné d’une crise financière et d’une implosion de la zone euro. C’est manifestement exagéré.
Et pour répondre concrètement à la question : où se situe le plancher ? Avec le plus grand sérieux, je vous le dis : probablement au-dessus de nous...
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