Au plus haut les taux, au plus haut la bourse ? 

16 mars 2021

Le lien improbable entre le nombre croissant de cas actifs de Covid-19 et la hausse des bourses défie toute logique à première vue, mais s'explique en réalité par l'extrême faiblesse des taux d'intérêt et les stimulants économiques attendus. Vu son ampleur inédite, le plan de redressement prévu doit être de nature à contrecarrer même les plus graves difficultés économiques.

Ce qui nous amène immanquablement à nous interroger sur l'attitude des marchés d'actions lorsque le coronavirus aura connu son Waterloo. Quelque part à l'automne, peut-être ? 

Graphique 1 : Évolution du nombre de cas actifs de Covid-19 et de l’indice mondial des actions

Évolution du nombre de cas actifs de Covid-19 et de l’indice mondial des actions

À l'inverse, un nombre décroissant de contaminations conduit-il à un recul des bourses ? Pas nécessairement. Si les taux d'intérêt restent suffisamment bas, que l'inflation reste contenue, que les vaccins atteignent le degré d'efficacité attendu et que les injections financières prévues obtiennent les résultats escomptés, les bourses partiront avec enthousiasme à la chasse de nouveaux records. Nous ne doutons d'ailleurs pas de la réalisation des quatre conditions précitées. Mais les déceptions intermédiaires ont de quoi créer une certaine tension.

Entendons-nous bien : le virus n'est pas encore vaincu. La sale bestiole a tout au plus battu en retraite face aux mesures drastiques, lesquelles s'accompagnent d'un coût économique et d'une pression sociale intenables. Ce n'est que lorsque le vaccin aura été administré largement que les mesures de restriction pourront être assouplies, sans provoquer une nouvelle vague de contaminations. Mais la demande de nouveaux assouplissements1 se fait toujours plus pressante, ce qui risque de tout remettre en question avant même que les vaccins aient eu le temps de construire un mur de défense.

Entre-temps, nous sommes heureux que les mutants du virus récents s'avèrent moins létaux, quoique plus contagieux. Ils nous débarrassent ainsi du virus originel plus mortel et réduisent donc le taux de mortalité. En 1919, l'évolution avait été inverse, provoquant une mortalité hallucinante.

Malgré la pandémie, impossible de nier que le redressement économique est bel et bien là. Les chiffres chinois récents sur la production industrielle et les ventes au détail sont dignes d'un « grand bond en avant » et traduisent on ne peut plus clairement la force de la reprise économique.

L'évolution mondiale des résultats attendus des entreprises constitue sans doute la meilleure illustration du redressement économique global.  La progression observée aux États-Unis reflète le haut degré de flexibilité et de résilience de la plus grande économie du monde, s'il fallait encore le prouver. Qu'une catastrophe d'une telle ampleur puisse être surmontée de cette manière ne peut que renforcer la confiance à l'égard du marché d'actions américain à l'avenir.

Graphique 2 : Développement des résultats attendus des entreprises

Développement des résultats attendus des entreprises

La solidité des chiffres au Danemark (DK) montre par ailleurs qu'un petit pays peut également faire valoir ses atouts. Mais les entreprises cotées en bourse en Suède (SD), en Suisse (CH), aux Pays-Bas (NL) et en Allemagne (BD) ont également réussi cette lourde épreuve avec panache. Cette performance ne s'explique pas uniquement par la composante technologique de leurs indices boursiers, mais aussi récemment par des valeurs industrielles de qualité supérieure. Ce groupe constitue d'ailleurs actuellement notre fer de lance sur les bourses européennes.

Il ne faut cependant pas chercher très loin le dernier de la classe. Il est somme toute logique que les performances étonnamment faibles des entreprises belges (cotées en bourse) se traduisent par une mauvaise prestation de notre bourse. 

Tableau 1 : Performance des bourses européennes depuis le 01.01.2020 (MSCI indice prix en euros)

Performance des bourses européennes depuis le 01.01.2020 (MSCI indice prix en euros)

En Europe, seule la Grèce2 réussit à afficher des résultats encore plus mauvais depuis le 01.01.2020. Et au niveau mondial, il faut également bien chercher pour dénicher des performances pires que les nôtres. Comment expliquer cette évolution déprimante ?

En première analyse, on peut en effet pointer le biais historique de l'indice boursier belge en faveur des banques ainsi que la part disproportionnée prise par le plus grand brasseur mondial, deux secteurs qui ont particulièrement souffert du contexte de l'année écoulée. Mais, en y regardant de plus près, il faut tout de même remarquer également que les entreprises des autres secteurs font pâle figure par rapport aux résultats de leurs concurrents chez nos voisins. Heureusement, ce n'est pas nécessairement représentatif3 de l'évolution générale. De nombreuses entreprises en Belgique ne sont ni cotées en bourse ni en mains étrangères. 

Heureusement donc que la belle météo boursière nous est dictée par Wall Street et non par la Belgique. Ce qui nous conduit tout naturellement outre Atlantique. Aux États-Unis, la poursuite de la progression boursière semble principalement menacée par l'évolution des taux d'intérêt à long terme.  Le taux à 10 ans a déjà progressé sensiblement et varie actuellement autour de 1,6 %.

Graphique 3 : Taux d’intérêt sur les obligations d’État à 10 ans aux États-Unis et dans la zone euro

Taux d’intérêt sur les obligations d’État à 10 ans aux États-Unis et dans la zone euro

Certes, ce niveau marque déjà un triplement par rapport au plancher atteint par les taux américains au milieu de 2020. Mais ces derniers sont toujours inférieurs à leur niveau précédant la pandémie.

À l'époque, les bourses n'en étaient pas moins restées bien orientées, alors qu'à présent les résultats d'entreprises ont dépassé des attentes pourtant élevées. Et cela malgré la plus grave chute de l'activité économique en 75 ans.  On ne s'étonnera donc pas que les records boursiers, atteints avant la pandémie, soient allègrement battus en raison de la constellation favorable actuelle sur le plan des bénéfices des entreprises et des taux d'intérêt. 

C'est peut-être contre-intuitif, mais dans la mesure où une hausse des taux émet le signal d'une hausse de la croissance, la bourse américaine réagira plutôt positivement que négativement à la remontée des taux.

Mais il peut arriver un moment où la cruche déborde. Lorsque la communauté financière estime que l'inflation (escomptée) semble déraper et que la Fed n'intervient pas, Wall Street peut en subir de graves secousses. Mais, jusqu'à présent, les indicateurs de l'inflation restent dans la zone autorisée. Un tel scénario ne paraît donc pas inévitable.

En Europe, la crainte de hausses de taux n'est pas près d'être à l'ordre du jour. Mais ici aussi, l'inflation pointe à nouveau le bout de son nez. La BCE a donc jugé utile de contrecarrer préventivement la remontée, même limitée, des taux d'intérêt à long terme européens. Nous l'en remercions.

Nous en déduisons ainsi clairement ce que les marchés financiers attendent de la banque centrale américaine. S'il est vrai que l'évolution des indicateurs d'inflation ne doit pas soulever des inquiétudes, son président ne doit-il pas annoncer qu'il veillera à freiner la remontée des taux d'intérêt à long terme ?

Demain, Jay Powell aura amplement l'occasion de le dire, après la réunion FOMC4. Mais rien n'est moins sûr, vu sa réputation de gaffeur.

[1] Si ces assouplissements se limitent à une extension des « bulles » et à une ouverture contrôlée et progressive des cafés et restaurants, les hôpitaux ne devraient pas être débordés. Mais ce sera le cas si les grands événements de masse sont autorisés. À proscrire, s'il vous plaît.

[2] Cela se comprend cependant si l'on considère le poids local élevé réservé aux banques et au secteur touristique en Grèce.

[3] On en conclut souvent, en guise d'excuse, que la Belgique serait ainsi un pays de PME. De telles entreprises, rarement cotées en bourse, seraient donc capables d'insuffler tout de même une belle dynamique à l'économie. Hélas, ce n'est qu'un mythe de plus. Proportionnellement, la Belgique ne compte certainement pas plus de PME que ses pays voisins. Elle abrite seulement beaucoup moins de grandes entreprises...

[4] Federal Open Market Committee : La réunion de la banque centrale, qui se tient toutes les 6 semaines, au cours de laquelle elle détermine sa politique monétaire. 

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