Un début d’année difficile

4 février 2022

Auteur: Giel Maris, gestionnaire de fonds chez Argenta Asset Management

Depuis le début de l'année, les grands indices boursiers se teintent de rouge, et en particulier le Nasdaq, indice regroupant les 100 plus grandes entreprises américaines liées à la technologie. Cependant, dans les derniers jours de janvier, nous avons de nouveau observé un sentiment plus positif sur les marchés d’actions avec un rebond des cours. La raison de ces returns plus faibles est le changement de cap forcé de la banque centrale américaine pour maîtriser l'inflation. Le marché prévoit 5 hausses de taux aujourd'hui, jusqu'en février 2023, la première de manière maintenant certaine en mars. De plus, le conflit entre la Russie et l'Ukraine et le variant Omicron ajoutent des craintes supplémentaires. Nous restons cependant optimistes sur les marchés d’actions en raison des résultats des entreprises. Ceux-ci devront soutenir les marchés cette année. Les premiers résultats sont prometteurs avec Alphabet, Apple et Microsoft comme baromètres positifs.

L’évolution des marchés d’actions

Évolution des marchés boursiers (en Euro)
Rotation dans les styles

Après le rallye de fin d'année 2021, les marchés ont commencé 2022 sur une fausse note. Les indices européens et des marchés émergents ont limité les dégâts avec une baisse de respectivement 3 % et 1,5 %. Par contre, les indices américains ont connu la plus grosse chute, l’indice le plus touché étant le Nasdaq. Le S&P 500 et le Nasdaq détiennent un poids de 35,5 % et 65,5 % respectivement sur le segment de croissance du marché, à savoir la technologie. Au cours du mois dernier, il y a eu une rotation de style partant de la « croissance » (lignes roses et bleu foncé du graphique de droite) vers la « valeur » (lignes vertes et bleu clair du graphique de droite). Les marchés ont favorisé les actions les moins chères (actions « value ») au détriment des actions les plus chères, également appelées actions de croissance. Cela s'explique principalement par le nécessaire changement de cap de la banque centrale américaine (Fed). Des hausses de taux d'intérêt suivront cette année pour maintenir l'inflation sous contrôle. Nous y reviendrons en détail plus loin dans le texte.

Devons-nous dès lors paniquer ? La réponse est non : ci-dessous nous voyons le parcours de l'indice Nasdaq 100, le panier d'actions composé des 100 plus grandes actions liées à la technologie, au cours des 13 dernières années. Depuis le point bas de mars 2009 après la crise de Lehman, on observe une forte croissance des cours. Elle a cependant été interrompue 12 fois, par 10 corrections (baisse de plus de 10 %) et deux marchés baissiers (baisse de plus de 20 %). Ces deux périodes douloureuses sont survenues après que la Fed a annoncé un resserrement quantitatif en « pilote automatique » fin 2018, et lors de la première vague de la pandémie début 2020. Indépendamment de ces 12 interruptions, l'indice technologique semble avoir suivi une trajectoire ascendante continue. Les performances passées ne sont bien sûr pas une garantie pour l'avenir, mais elles nous rendent un peu plus de confiance.

Nasdaq Corrections

Volatilité en hausse

Comme brièvement mentionné, les craintes d'une inflation excessive et la réponse que l’on pourrait qualifier de tardive de la Fed ont principalement contribué à l'augmentation de la volatilité sur les marchés. Le conflit russo-ukrainien et le variant Omicron jouent également un rôle, quoique dans une moindre mesure. Le graphique ci-dessous montre que la volatilité du marché est actuellement supérieure à la moyenne à long terme de 20 %.

Volatilité

Les attentes d’inflation

Inflation attendue sur 5 ans et réalisée sur 1 an

Comme le montre le graphique ci-dessus, l'inflation de base réalisée sur base annuelle a atteint des sommets historiques. Cela peut être attribué à un effet de base plus faible (décembre 2020 était nettement plus bas) d'une part, et à des perturbations de la chaîne d'approvisionnement d'autre part. On s’attend cependant à ce que l'inflation annuelle moyenne sur 5 ans doive se situer autour de 2,82 % et 2,12 % pour l'Amérique et l'Europe respectivement.

De plus, les dernières recherches de l'Université du Michigan qui mesurent les attentes d'inflation des consommateurs, ont montré que les prévisions sur cinq à dix ans se rapprochent de 3 %, mais n'accélèrent toujours pas. Les attentes pour l'année à venir semblent culminer juste en dessous de 5 %. Tant les chiffres du graphique ci-dessus que ceux de l'enquête montrent que certes, les banques centrales peinent actuellement à atteindre leur objectif d'inflation limitée, mais cela indique aussi que les consommateurs et le marché croient que l'inflation sera maîtrisée à long terme.

Le discours de la FED et les hausses de taux

Le mercredi 26 janvier 2022, le président de la Banque centrale américaine (Fed), J. Powell, s'est exprimé lors de la réunion du FOMC sur la future politique monétaire. Le FOMC est un comité de membres du conseil d'administration qui se réunissent régulièrement pour définir la politique monétaire aux États-Unis, y compris les taux d'intérêt facturés aux banques. Avant cette réunion, le marché a réagi très nerveusement. Semaine après semaine, les analystes ont supposé que le nombre de hausses de taux augmenterait au cours des 12 à 15 prochains mois. Dans le graphique ci-dessous, on voit que 3 hausses de taux (barre bleu foncé) ont été intégrées par le marché le 31 décembre 2021 sur une période d'un an à compter de mars 2022. Cinq jours avant que la Fed ne s'adresse au monde, le marché a même intégré 4 hausses de taux, avec une certitude de 100 %.

À la suite de la réunion, 5 hausses de taux ont été intégrées (les barres bleu clair dans le graphique ci-dessous), la première ayant lieu avec une certitude de près de 100 % en mars 2022. Cela était en grande partie dû au discours de Jerome Powell. Il a adopté une position plus agressive sur la maîtrise de l'inflation, une politique monétaire plus restrictive. La Fed ne veut même pas s'engager sur un modèle fixe de hausses de taux et laisse la possibilité ouverte entre une première hausse de 25 ou de 50 points de base. Cette dernière remarque était une mauvaise surprise car elle n'était guère prise en compte à priori par le marché.

The month of rising rate expectations

Source : tableau de l’article de John Authers: « Powell is leaving markets dazed and confused »

L'inflation et les hausses de taux d'intérêt attendues continueront de perturber les marchés au cours des prochaines semaines et des prochains mois, entraînant une volatilité supérieure à la moyenne. En outre, il convient également de prêter attention au conflit entre la Russie et l'Ukraine, et au variant Omicron.

Le conflit entre la Russie et l’Ukraine

Le 25-01-2021, le président Joe Biden a rencontré les dirigeants européens pour discuter de la situation précaire à la frontière ukrainienne. Le président russe Vladimir Poutine y concentre des unités militaires depuis des mois.

Le département d'État américain a recommandé à tous les citoyens américains en Ukraine de quitter le pays sans délai. De plus, Biden a été très clair en déclarant aux journalistes qu'une invasion russe à grande échelle de l'Ukraine changerait radicalement la sécurité européenne. « Ce serait la plus grande invasion depuis la Seconde Guerre mondiale. Cela changerait le monde. » En réponse, Biden envisagerait de déployer du personnel et du matériel militaires.

Cependant, Poutine insiste sur le fait que la Russie ne fait que se protéger de ce qu'il considère comme une alliance de l'OTAN en constante expansion. Il veut des garanties que l'Ukraine ne sera pas admise en tant que membre. Nous continuerons à suivre cette situation de près.

Le variant Omicron

Le dernier variant connu de la souche COVID-19, Omicron, continue de provoquer de la nervosité dans nos sociétés. Heureusement, cette forme est certes plus contagieuse mais relativement moins mortelle, comme le montrent les tableaux ci-dessous. Celui de gauche représente le nombre de nouveaux cas quotidiens par million d'habitants et celui de droite le nombre de nouveaux décès quotidiens par million d'habitants.

Nouveaux cas journaliers de COVID-19, Europe & USA
COVID-19 nouveaux cas de décès journaliers

Dans certains pays, dont l'Espagne et le Royaume-Uni, on parle même d'endémisme,  il est vrai peut-être prématurément, ce qui signifierait la fin de la pandémie. Le virus évoluerait donc progressivement vers une sorte de grippe saisonnière.

Tout cela rend l'importance de bons résultats d’entreprises encore plus cruciale afin de fournir un contrepoids suffisant à ces facteurs d’incertitude. Nous y accordons donc une attention soutenue.

Les premiers chiffres laissent entrevoir une nouvelle saison de bons résultats d’entreprises

Trois facteurs déterminent la performance des marchés à plus long terme : les taux d'intérêt (y compris l'inflation), la prime de risque et le taux de croissance des résultats des entreprises. Si on creuse un peu plus, on s'aperçoit que c'est surtout la croissance des résultats des entreprises qui a assuré l'excellente performance des bourses américaines ces dernières années. Environ les trois quarts des rendements depuis 2020 ont été tirés par l'augmentation des résultats d'exploitation. Goldman Sachs confirme également ce phénomène. Dans le graphique ci-dessous, une forte corrélation peut être remarquée entre les résultats de l'entreprise et la tendance des cours du S&P 500.

Exhibit 25: S&P 500 Price Index vs. Earnings

Si l'on regarde ensuite les résultats effectifs, nous sommes au début des publications concernant le quatrième trimestre de l’année écoulée. Aux États-Unis et en Europe, respectivement 19 % et 15 % des entreprises ont communiqué leurs résultats à fin janvier (voir tableau ci-dessous). Ce qui est frappant, c'est qu'une fois de plus la majorité s'en sort mieux que prévu avec 72 % aux États-Unis et 64 % en Europe. À ce jour aux Etats-Unis, les secteurs des technologies et des services de communications se sont démarqués avec plus de 85 % de résultats supérieurs aux attentes. En Europe par ailleurs, les secteurs industriels, liés à la consommation et technologiques se distinguent.

Plus en détail, Alphabet, Apple et Microsoft ont annoncé d'excellents résultats trimestriels. Les résultats d'Alphabet et de Microsoft montrent que la demande de services liés spécifiquement au cloud reste élevée. De plus, les chiffres d'Apple ont montré comment une entreprise devrait être gérée lorsque l'économie est confrontée à des perturbations de la chaîne d'approvisionnement. C'est aussi en partie une indication que les goulots d'étranglement diminuent.

Les résultats publiés par Meta, la société mère de Facebook, contrastent avec les excellents résultats trimestriels des géants précités.

Meta a publié ses résultats du 4e trimestre après bourse le mercredi 2 février. L'action a connu une baisse de 20 % lors des transactions après clôture régulière (« post-market trading »). Cette réaction a été largement causée par des perspectives plus faibles que prévu. Les résultats ont montré que Meta continue de souffrir de l'augmentation des paramètres de confidentialité d'Apple. Cela renforce l'utilité de notre politique de durabilité : Meta est en effet exclue de notre univers d'investissement.

États-Unis

États-Unis

Europe

Europe

Par ailleurs, les analystes restent optimistes pour les mois à venir. Comme le montre le graphique ci-dessous, les anticipations de croissance sur 12 mois restent significatives. Seule la Chine est à la traîne.

Croissance attendue des bénéfices d'entreprises

Quelles opérations avons-nous effectuées dans les fonds essentiels ?

Les marchés ont connu une volatilité supérieure à la moyenne et de fortes baisses au cours du mois dernier. Les craintes d'une inflation excessive et la réaction de la Fed en ont été les principaux moteurs. Nous avons pu intégrer cette nouvelle donne assez rapidement et avons réduit la pondération des actions de très surpondérée à légèrement surpondérée.

Malgré une assez grande incertitude sur la suite de la politique monétaire de la banque centrale américaine, nous avons délibérément opté pour une position toujours légèrement surpondérée sur les actions. D'une part, nous préférons les actions aux obligations en raison du rapport rendement-risque plus favorable. Les obligations sont plus directement touchées par la hausse des taux d'intérêt. D’autre part, les résultats trimestriels supérieurs aux attentes soutiennent les marchés d’actions.

Nous sommes également plutôt optimistes quant au niveau de l'inflation. Les niveaux les plus élevés semblent avoir été atteints et une fois que les goulots d'étranglement de l'économie se seront encore atténués, les pressions inflationnistes s'atténueront davantage, même si elles se maintiendront à un niveau supérieur à celui que nous avons connu ces 10 dernières années.

Les gestionnaires ont décidé de conserver temporairement le capital libéré sous forme de liquidités afin de capitaliser sur les opportunités au sein du segment actions. Cet argent provient de la vente des trackers américains et européens, de la réduction de l'exposition indienne au sein de la part actions, et de ventes dans la plupart des fonds thématiques à l'exception des matériaux durables. Plus précisément, le S&P 500, le Nasdaq et le MSCI Europe ont été vendus au prorata afin de maintenir l'allocation géographique. En Inde, Fidelity India a été liquidée et Ashoka India Opportunities et UTI Indian Dynamic ont été réduites pour atteindre l'allocation tactique souhaitée. L'exposition indienne a été réduite en réaction à une bourse devenue plus chère d'une part, et à la hausse de l'inflation alimentaire en Inde d'autre part.

Par ailleurs, une partie des liquidités a été réinvestie dans le segment considéré comme plus sûr au sein des obligations. La position dans Aegon European ABS a été augmentée car le fonds a une cote de solvabilité élevée et est également un investissement avec moins de risque de taux d'intérêt en raison de l'accent mis sur les titres à taux variable. Nous profitons de plus, par ce biais, d’une éventuelle hausse des taux d'intérêt à court terme.

Conclusion

Le contexte économique et financier actuel navigue en eaux agitées en raison d'une inflation historiquement élevée, des prochaines hausses de taux d'intérêt et de la Fed. Le facteur positif au sein des marchés, ce sont les résultats trimestriels qui soutiennent les bourses et ce depuis des années. Les marchés devraient continuer à afficher une volatilité supérieure à la moyenne dans les semaines et les mois à venir, il est donc très important d'être diversifié et en accord avec votre profil de risque.

Au sein des fonds essentiels, les gestionnaires peuvent réagir très rapidement s'ils le souhaitent. L'équipe de gestion demeure vigilante aux risques et assure une gestion rigoureuse et professionnelle. La combinaison de notre approche quantitative et qualitative nous y aide également.

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