L'heure la plus sombre

3 avril 2020

Maintenant que les marchés financiers ont intégré en grande partie les bonnes nouvelles sur les aides publiques et les incitants monétaires prévus par les autorités, nous entrons dans une nouvelle phase intermédiaire.

Une période de doute croissant et de chiffres macabres, jusqu'à ce qu'il soit à nouveau légitime de cultiver l'espoir. Des doutes. Des doutes sur la capacité des mesures économiques à produire un redressement puissant, après la chute inédite de l'activité que nous encaissons ce(s) mois-ci. Du scepticisme. Du scepticisme sur la suffisance des mesures financières mises en œuvre pour éviter une nouvelle crise bancaire. De l'inquiétude. De l'inquiétude sur la véritable nature des dommages fondamentaux subis par les structures socioéconomiques. De l'inconfort. De l'inconfort sur la forme de l'évolution économique qui nous attend à l'avenir, une fois que cette épreuve épuisante sera derrière nous.

Mais, pour ce dernier point, ne vous y trompez pas : nous nous faisons beaucoup moins de soucis à cet égard. Cette relative sérénité s'est d'ailleurs déjà exprimée à travers le net rebond des marchés d'actions qui s'est produit au cours de la dernière semaine du mois de mars. Certes, l'embellie boursière a déjà pris fin. Non pas tellement en raison de l'évolution économique attendue à l'avenir, mais plutôt parce que notre quotidien est rythmé aujourd'hui par des bulletins d'information glaçants sur les victimes d'une guerre dont le front se rapproche de plus en plus. 

Graphique 1 : Évolution de plusieurs indices boursiers mondiaux depuis le 01.01.2020

Graphique 1 : Évolution de plusieurs indices boursiers mondiaux depuis le 01.01.2020

Cette semaine a été marquée cependant par l'annonce d'une baisse du nombre de cas actifs de corona en Chine et d'une stabilisation en Italie, mais aussi par l'espoir d'observer, la semaine prochaine, une amélioration notable dans nos contrées également. Les chiffres les plus récents sur l'évolution de la pandémie sont plutôt encourageants et semblent se calquer plus ou moins sur ce qui s'est passé en Chine.

Ainsi, si la tendance favorable se poursuit, le bout de ce tunnel très sombre pourrait être en vue à la fin du mois d'avril. Du moins de ce côté-ci de l'Atlantique. En face, aux États-Unis, la stabilisation interviendrait un mois plus tard, à la fin mai, toujours dans l'hypothèse optimiste. Mais les bourses ont déjà intégré ce scénario positif et regardent désormais plus loin, en nourrissant d'ailleurs un relatif optimisme sur l'évolution de la situation au second semestre de cette année historique. Pour s'en assurer, les aides publiques devront sans doute encore être étoffées et la Fed serait bien inspirée d'accroître, dans les prochains jours, les liquidités à destination des banques (dans le monde entier). 

Même si les nombreuses guerres auxquelles nous avons participé sur les marchés financiers au cours de ces dernières décennies ont endurci notre cuir, nous n'avions cependant encore jamais ressenti l'effroi que nous inspirent les chiffres du Dr.   Fauci. L'expert médical du gouvernement américain qui, malgré sa petite taille, son grand âge et sa voix douce, réussit à faire de l'ombre au président américain, nous a stupéfaits en prédisant 200.000 victimes aux États-Unis. Si cette prévision n'était pas sortie de la bouche de ce scientifique renommé, nous l'aurions assimilée à une manœuvre tactique de Donald Trump. Car si le nombre réel de victimes n'atteint pas ce nombre effroyable, le président pourra toujours le vendre comme un relatif succès et l'attribuer à sa gestion de la crise.

Mais même Trump ne fait pas preuve d'un tel cynisme.  En tout cas, si on se réfère à l'expérience chinoise, nous ne nous attendons pas à un nombre aussi élevé de victimes américaines. Hélas, l'Italie nous a démentis sur ce point. Mais, heureusement, la tendance semble à présent évoluer favorablement.

Il est normal que les bourses d'actions s'effraient des prévisions du Dr. Fauci et perdent à nouveau un peu de terrain ces jours-ci. Ce n'est sans doute qu'une réaction passagère, parce qu'on s'habitue à tout. Même à ça.

Mais il est peu probable que les bourses retrouvent rapidement une humeur festive, alors que les systèmes de santé américains menacent d'être débordés par la situation dans les deux semaines qui viennent. Au fil du temps, cependant, cette inquiétude ne s'exprimera plus sous la forme d'une déstabilisation financière, mais à travers des revendications portant sur l'amélioration des infrastructures de santé, des signaux d'alerte pour la prochaine épidémie et des mesures visant à prévenir la répétition d'une telle débâcle.

Ces demandes constituent autant de thèmes d'investissement pour l'avenir immédiat, parce que plus personne ne voudra revivre un tel cauchemar. Le coût économique, mais aussi l'énorme tribut humain, sont inacceptables. Point barre. Les pouvoirs publics ne doivent plus mégoter. Leur devoir est de prendre les mesures nécessaires. Quitte à creuser encore les déficits budgétaires. Nie wieder Krieg (plus jamais la guerre).

Si les bourses d'actions affichent pour l'heure un rebond assez net, elles sont encore loin d'avoir récupéré leurs pertes. À nos yeux, ce mouvement de rattrapage ne commencera qu'au moment où l'épidémie se sera effectivement stabilisée aux États-Unis. Dès lors, il est vraisemblable que les marchés financiers n'adopteront une direction définitive qu'au courant du second semestre de cette année. Entre-temps, ils pourront en effet encore être habités par des doutes sur le degré d'efficacité des mesures annoncées. Ces aides suffiront-elles à remettre l'économie sur de bons rails ? Même si on s'aperçoit que les dommages réels sont plus importants que prévu ?

Cette circonspection disparaîtra cependant progressivement. Des taux aussi faibles (et encore plus bas si cela s'avère nécessaire) et des stimulants d'une telle ampleur (et encore plus percutants au besoin) sont de nature à nous éviter le scénario du pire. Pour l'Italie, il faudra cependant les compléter avec une sorte de plan Marshall.

C'est ainsi l'occasion idéale pour l'Union européenne d'apporter la preuve de sa valeur ajoutée fondamentale en intervenant à l'unisson et en mettant en œuvre des mesures ambitieuses. Fini de jouer le comptable frileux, uniquement occupé à faire prospérer sa petite boutique.  Sammy, relève la tête, comme le dit une chanson populaire au nord du pays. 

Il est évidemment impossible de prévoir le moment précis où ce retournement fondamental interviendra. Dans ces circonstances, l'attitude la plus intelligente ne consiste certainement pas à jouer les héros sur les marchés financiers. La bonne approche est de continuer à renforcer progressivement ses positions, malgré les mauvaises nouvelles. C'est précisément ce que nous faisons dans nos fonds essentiels.

Parce que l'heure la plus sombre est celle qui vient juste avant le lever du soleil.

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