Oups ! He did it again… 

12 juin 2020

Jay Lagaffe a encore frappé. Alors que les grands dirigeants de la planète avaient adopté (pour une fois) une seule et même politique puissante de relance économique, ce qui avait été salué par les bourses, 1 le président de la Fed a provoqué à nouveau la désolation sur les marchés financiers.

Jay Powell n'en est en effet pas à son coup d'essai en la matière. Après la débâcle boursière qu'il avait créée au 4e trimestre de 2018, par ses seules paroles maladroites, chaque mot qu'il prononce est désormais écouté avec suspicion, voire appréhension. Les marchés financiers s'inquiètent surtout de sa propension à s'en tenir mécaniquement à des règles rigides, en dépit d'une réalité économique qui devrait l'inciter à adopter une position moins inflexible. Son allocution la plus récente, prononcée le mercredi 10 juin, a réussi en tout cas à semer à nouveau la peur et le désordre dans l'esprit des investisseurs, qui ont revécu ainsi l'espace d'une séance la saison des ouragans qui avaient balayé les bourses pendant quelques semaines en mars.

Mais que cet homme a-t-il donc dit de si grave pour que les marchés financiers tremblent à ce point sur leurs bases ? En fait, il n'a fait que souligner qu'il n'envisage même pas de commencer à réfléchir à l'éventualité d'un relèvement du taux d'intérêt directeur. Ce qui était censé rassurer tout le monde. Non, la Fed n'a pas l'intention dans un proche avenir de relever ce taux pour combattre une inflation imaginaire, parce qu'elle donne la priorité au redressement économique. Mais actuellement, qui, à part lui, se fait du souci pour l'inflation ?

Et c'est là que son raisonnement a fait froid dans le dos. Le président de la banque centrale américaine a fondé sa position en invoquant sa vision particulièrement sombre de l'évolution de l'économie du pays : un lent et difficile redressement de l'activité et un taux de chômage qui ne reviendrait aux alentours de 5,5 % qu'à la fin de 2022. Il a dépeint ainsi un scénario beaucoup plus négatif que celui avancé par la plupart des analystes qui, de leur côté, tablent sur un rattrapage économique substantiel et une amélioration sensible du marché du travail dès la moitié de l'an prochain. Ces prévisions favorables ont d'ailleurs été confortées par les dernières statistiques relatives à l'évolution conjoncturelle et aux créations d'emploi.

Résultat : les paroles que Powell voulait apaisantes ont eu exactement l'effet inverse sur les marchés.  Soudain, la promesse de s'en tenir à un taux directeur à zéro a été interprétée dans un sens négatif : la banque centrale n'est pas prête à modifier son taux directeur. Donc, pas prête à le baisser non plus, même si le contexte économique l'exigeait...

Une attitude pas du tout cohérente avec la - ô combien importante - politique monétaire américaine : le président de la Fed dessine un tableau beaucoup plus sombre que l'évolution économique attendue, mais refuse en même temps d'en tirer les conclusions qui s'imposent sur le plan monétaire. En termes boursiers, cela signifie « retour à la case départ »...

Graphique 1 : Évolution de l’indice mondial des actions (return net en euros) depuis le 23.03.2020

Graphique 1 : Évolution de l’indice mondial des actions (return net en euros) depuis le 23.03.2020

Les marchés mondiaux ont donc chuté en moyenne de 5 à 6 %. Cette correction n'était cependant pas totalement inattendue dans la mesure où, au cours des jours précédents, la tendance haussière (justifiée) du secteur technologique commençait à se propager vers les actions des banques et des secteurs traditionnels, ce qui ne se justifiait pas. Ces grands mouvements ne nous dévient pas de notre route. Nous nous en sommes tenus à nos choix et accents spécifiques. Ce n'est pas par hasard si nous avions qualifié de junk rally la hausse des dernières semaines. Ce rally boursier infondé se produit typiquement en fin de cycle, ce qui annonce la plupart du temps une correction baissière générale (mais temporaire). Quand arrivera-t-elle ? Impossible à prévoir.

Comme toujours, il faut lire entre les lignes du communiqué de la banque centrale américaine. Powell ne veut pas se retrouver dans la position de l'ancien président de la BCE, Mario Draghi, qui avait tenu à bout de bras toute la politique européenne de redressement économique après 2008 et (surtout) 2011, pendant que les États se refusaient à desserrer le cordon de leur bourse. D'où la raideur de la position de la banque américaine : le gouvernement doit également y aller de sa poche. Mais qui, aujourd'hui, en doute un seul instant ? Les infrastructures sont quasi intactes et l'économie peut redémarrer assez rapidement.

Bien sûr, il serait malhonnête d'attribuer au président de la Fed (et au rédacteur de ses discours) toute la faute des déconvenues boursières.

Les chiffres de l'évolution de la pandémie mortelle de grippe aux États-Unis continuent à surprendre désagréablement la plupart des observateurs qui commencent vraiment à craindre une prochaine deuxième vague de contamination. Nous nous permettons à cet égard de rajouter une couche d'anxiété : nos propres calculs nous avaient déjà conduits à prévoir cette deuxième vague, mais le plus à craindre aujourd'hui est qu'elle frappe alors que la première continue à se répandre dans le pays et dure beaucoup plus longtemps qu'en Chine et en Europe. Avec à la clé, un second confinement ou un retard considérable pour la réouverture prévue de l'économie.

Mais cette crainte n'est pas justifiée. Malgré le tribut humain qui va croissant, les États-Unis n'ont guère le choix. La Chine et (même) l'Europe ont déjà quelques longueurs d'avance. Les États-Unis ne peuvent pas se permettre d'accuser un retard économique trop important. Le ministre américain le plus puissant, Steven Mnuchin, ne s'est donc pas fait prier pour indiquer qu'il n'y aurait pas de nouveau confinement, même en cas de deuxième vague d'infections, et même pas lors de la troisième qui est attendue en septembre. 

Mais les marchés financiers doivent également balayer devant leur porte. La reprise économique attendue avait déjà été intégrée en grande partie dans la hausse des cours observée au cours des semaines écoulées. D'où ce redressement spectaculaire des bourses mondiales.  En soi, ce mouvement n'a rien de malsain. Mais, ce faisant, les bourses ont éliminé (quasi) tout matelas de sécurité si le scénario de relance semble devenir soudainement moins favorable.

Pour le dire en termes technico-financiers : la prime de risque exigée, qui doit servir à amortir les risques futurs, se situe « seulement » au niveau de sa moyenne à long terme. Autrement dit, les marchés partent du principe que l'économie reviendra à un taux d'activité normal dans un avenir très proche. Faute de ce matelas de sécurité, la moindre modification de cette perspective optimiste est de nature à provoquer d'importants dégâts financiers. 

Graphique 2 : Prime de risque exigée aux États-Unis 

Graphique 2 : Prime de risque exigée aux États-Unis

Nous restons cependant convaincus que l'économie mondiale se redressera progressivement, mais substantiellement, ce qui devrait corriger assez vite ces fluctuations boursières baissières.

En résumé : le Grand Infarctus n'est certainement pas encore passé. Il faut bien entendu prendre en compte les conséquences d'une nouvelle vague d'infections virales, mais l'économie sera suffisamment flexible pour convertir les stimulants économiques d'une ampleur inédite et l'extrême faiblesse des taux d'intérêt en un redressement digne de ce nom. Les commentaires de la Fed à cet égard s'expliquent en réalité surtout par son propre agenda politique. Une fois que les marchés l'auront pleinement compris, la reprise sur les bourses se poursuivra pas à pas.

Et puis, cette situation présente aussi un avantage. Pour l'heure, le conflit commercial sino-américain suscite très peu d'attention politique. Mieux encore : entre-temps, le taux de change du yuan s'est renforcé ce qui traduit surtout à nos yeux la volonté des autorités chinoises de prévenir une nouvelle escalade dans ce litige.  Mais le président Trump entend bien à court terme redynamiser sa campagne en vue de sa réélection. Il ne nous étonnerait donc pas que ce thème revienne au-devant de la scène politique pour détourner l'attention des citoyens américains de la débâcle de leur système de soins de santé et de leurs troubles intérieurs.

Par ailleurs, la zone euro nous a surpris très agréablement en décidant à l'unisson une substantielle augmentation des mesures de soutien destinées à sortir les économies européennes de l'ornière. Avec, comme conséquence collatérale, la poursuite de la contraction des différentiels de taux d'intérêt des obligations d'État italiennes, espagnoles et portugaises par rapport aux taux allemands, ce qui bien entendu ne peut pas faire de tort aux positions obligataires détenues dans cette partie méridionale vulnérable de l'Europe. 

Graphique 3 : Différences de taux d'intérêt sur les obligations d'État à 10 ans par rapport à l'Allemagne 

Graphique 3 : Différences de taux d'intérêt sur les obligations d'État à 10 ans par rapport à l'Allemagne

Les obligations d'entreprise ayant une notation de crédit faible ont également profité de la promesse de la BCE de soutenir leurs cours. Ce qui n'a pas manqué de réveiller notre intérêt à l'égard de positions à haut rendement (high yield) bien diversifiées.

Les taux d'intérêt au plancher et les stimulants économiques inédits permettront à l'économie mondiale de se redresser sensiblement. Un positionnement équilibré en actions reste le choix le plus judicieux, pourvu qu'on y mette les bons accents, comme la technologie, les soins de santé, les équipements de sécurité, la numérisation et l'automatisation.

Au cours des semaines écoulées, la faible prime de risque nous a incités cependant à adopter une position légèrement sous-pondérée en actions. Et nous avons bien fait.  

[1] En rebondissant de plus de 30 % depuis le plancher atteint le 23 mars 2020. 

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