À beau jeu, beau retour

12 août 2022

Au haut Moyen Âge, les Flamands de nos contrées connaissaient parfaitement la signification imagée de ce dicton typiquement néerlandais dont la version française la plus courte serait « l’arroseur arrosé ». Et pour cause : le jeu de paume était si populaire à l’époque que l’Église l’avait interdit parce qu’il détournait tant les moines que leurs ouailles de leurs tâches quotidiennes. La noblesse française avait fait fi de cette interdiction. Si bien qu’en l’an 1600, Paris comptait pas moins de 300 (!) terrains de jeu de paume couverts. Lors du règne des ducs de Bourgogne, le jeu a fait sa joyeuse entrée dans les Plats Pays qui en ont quelque peu tronqué le vocabulaire, avant de conquérir l’Angleterre. Les règles ont évolué et le jeu est devenu le tennis actuel.

La présidente de la Chambre des représentants, numéro 2 dans la succession si Joe Biden venait à passer l’arme à gauche, a semblé en tout cas ne pas être habitée par cette sagesse séculaire, lorsqu’elle a posé le pied sur le sol taïwanais et dansé devant la grotte du dragon, faisant ainsi monter inutilement les tensions internationales. 

Reste à savoir qui tirera les marrons du feu[i]. Pour éviter de perdre la face sur le plan international, la Chine se voit contrainte à présent de prendre des mesures de représailles menaçantes qui laissent apparaître la conviction croissante dans le chef de Pékin que l’île peut être envahie militairement quand cela sera jugé nécessaire et souhaitable[ii].

Le Kremlin, pour sa part, se frotte les mains face à une telle maladresse, qui a également pour effet de mettre le gouvernement chinois encore un peu plus du côté de la Fédération de Russie. La population de Taïwan ne peut, quant à elle, que constater la remise en question des fragiles équilibres actuels.

Résultat, l’on n’entrevoit toujours pas de détente digne de ce nom sur le front géopolitique. À une exception près : les transports de denrées alimentaires, même limités à quelques cargos, sont plus que suffisants, dans le contexte actuel, pour passer pour un signe symbolique de bonne volonté sur le théâtre politique et apaiser les alliés africains, chinois et indiens de la Fédération de Russie.  Et cette éclaircie élimine aussi un important obstacle pratique. La mise en place d’une zone tampon d’un petit 20 km[iii] de large dans la mer noire permet d’assurer plus facilement la sécurité des bateaux et de leur cargaison. Et, par la même occasion, d’y faire naviguer de plus grands bateaux.

Cette perspective de réouverture des lignes d’approvisionnement du blé d’Ukraine a ainsi donné le coup d’envoi à un reflux substantiel des prix des denrées alimentaires. Ce mouvement réduit en tout cas la pression sur les indicateurs d’inflation, surtout en combinaison avec la baisse des prix pétroliers. La forte augmentation du prix du gaz et la réduction des livraisons russes en la matière tempèrent cependant notre enthousiasme.

Graphique 1 : Écarts de taux italiens, espagnols et portugais par rapport aux taux allemands (obligations d’État à 10 ans)  

Graphique 1 : Écarts de taux italiens, espagnols et portugais par rapport aux taux allemands (obligations d’État à 10 ans)

Toujours est-il que la baisse des attentes inflationnistes à l’automne 2022, combinée à la détente des taux d’intérêt à long terme, à la modération des prix du pétrole et à l’atténuation des craintes d’une pénurie sur les marchés des denrées alimentaires, donne, pour l’heure, aux bourses, l’occasion de respirer.

De surcroît, les résultats des entreprises américaines au deuxième trimestre sont supérieurs de 5,8 % par rapport aux prévisions[iv]. Du côté des actions technologiques, les attentes initiales ont même été dépassées pour 80 % des entreprises du secteur. Mais ces bonnes surprises ne garantissent en rien une progression de leurs cours. Plusieurs entreprises semblent en effet se préparer à d’éventuels résultats en baisse au trimestre suivant. Cette perspective défavorable provoque de fortes corrections baissières des cours et fait naître de grandes disparités dans les performances boursières récentes des entreprises technologiques individuelles.

Au terme du mois écoulé, les indices return tant du S&P 500 que du NASDAQ se sont redressés considérablement. Exprimée en euros, la perte annuelle est même quasiment compensée pour les 500 principales entreprises américaines. L’indice return mondial des actions n’est plus, lui aussi, dans le rouge « que » de 4 %.

En euros, le Nasdaq accuse cependant toujours une baisse de 9 %. En dans sa monnaie domestique, cet indice technologique doit même encore rattraper un retard de 18 %. Cette dernière performance n’est guère étonnante en soi : la progression moyenne des bénéfices des valeurs technologiques axées sur la croissance est restée en effet négative au deuxième trimestre. Les résultats sont cependant nettement moins mauvais qu’on le craignait initialement.

Graphique 2 : Évolution de quelques indices boursiers (indice return en €)

Evolutie van de MSCI USA, MSCI Europa en MSCI eurozone sinds 01.01.1992. Nettoreturnindex in €.

Vu la gravité de la crise géopolitique et la flambée des indicateurs d’inflation, l’évolution des actions américaines est somme toute très satisfaisante. En outre, la force du dollar amortit également la chute des cours des obligations. Depuis le début de l’année, la devise américaine s’est appréciée en effet de 11 % par rapport à l’euro. Cette progression s’est réalisée quasi entièrement après l’invasion militaire.

Et pourtant, ce n’est pas le contexte politique qui influence directement le cours du dollar, mais bien l’évolution divergente des perspectives en matière de taux d’intérêt entre les États-Unis et la zone euro, en termes tant nominaux que réels. L’économie outre-Atlantique performe en effet nettement mieux qu’ici, et l’inflation sur le vieux continent reviendra moins rapidement sous contrôle que sur le nouveau. La valeur du dollar déterminée par notre modèle, qui se base sur de telles différences fondamentales, pointe donc à juste titre dans la même direction.

Au terme du mois écoulé, les indices return tant du S&P 500 que du NASDAQ se sont redressés considérablement. Exprimée en euros, la perte annuelle est même quasiment compensée pour les 500 principales entreprises américaines. L’indice return mondial des actions n’est plus, lui aussi, dans le rouge « que » de 4 %.

En euros, le Nasdaq accuse cependant toujours une baisse de 9 %. En dans sa monnaie domestique, cet indice technologique doit même encore rattraper un retard de 18 %. Cette dernière performance n’est guère étonnante en soi : la progression moyenne des bénéfices des valeurs technologiques axées sur la croissance est restée en effet négative au deuxième trimestre. Les résultats sont cependant nettement moins mauvais qu’on le craignait initialement.

Graphique 3 : Cours de change US$ par €

Evolutie van de MSCI USA, MSCI Europa en MSCI eurozone sinds 01.01.1992. Nettoreturnindex in €.

Les marchés financiers européens sont ceux qui subissent les coups les plus durs actuellement. Tant les actions que les obligations ont encore un long chemin à parcourir avant de s’extirper de la zone négative. Les deux marchés évoluent ainsi à un bon 10 % en dessous de leur niveau du début de cette année de malheur.

Le mouvement de rattrapage sur les bourses américaines, qui a commencé après le plancher atteint le 16 juin 2022, présente une certaine similitude avec le rebond que l’on avait observé à partir du mois d’août 1982. À l’époque, le S&P 500 avait reculé de 21 %, ployant comme actuellement sous la pression inflationniste, l’instabilité géopolitique, les poussées de fièvre des cours pétroliers et une amère potion de relèvements de taux prodiguée par la banque centrale américaine. Ce rebond avait conduit à un rétablissement complet des cours, avant même d’établir, à la fin de 1982, un nouveau record, supérieur de 8 % au précédent (observé en août 1981). À titre de comparaison : aujourd’hui, cet indice prix est 31 fois plus élevé qu’en 1981. Et l’indice return a même été multiplié par 121 (!) pendant cette période.

Le redressement des cours ne s’est poursuivi en 1982 qu’après que l’indice de l’inflation a été divisé par deux. 

S’agissant du rebond actuel, entamé après le plancher de la mi-juin 2022, il faut cependant noter que l’indicateur CPI a encore progressé.  Les marchés anticipent donc manifestement une forte réduction du rythme de l’inflation, qui devrait se concrétiser dans les prochains mois. Ce n’est en effet certainement pas exclu pour ce qui concerne l’indice de l’inflation totale : Pour cela, il suffirait même que les prix du pétrole et des denrées alimentaires stagnent à leurs niveaux actuels.

L’inflation de base, qui est expurgée des fluctuations des prix des aliments et de l’énergie, s’inscrit à présent dans une tendance favorable, mais ce reflux est encore trop lent pour nous rassurer complètement sur ce plan. L’inflation de base CPE[v] évolue même (légèrement) à la hausse. On le doit surtout à la forte augmentation des loyers aux États-Unis.

Un redressement boursier plus rapide qu’en 1982 n’est cependant pas injustifié. La grande différence avec la crise actuelle est en effet la large disponibilité des emplois et le pouvoir d’achat du consommateur américain, lesquels étaient totalement en berne au début des années 1980.

Mais, malgré la série de données récentes sur les hauts et les bas de l’économie américaine, il nous est toujours impossible d’en tracer le parcours futur tant les statistiques se contredisent entre-elles. Les publications d’indicateurs conjoncturels ont beau se succéder à un rythme élevé, l’analyse, même approfondie, de ces données chiffrées, ne nous permet pas d’en tirer de grands enseignements. 

L’indicateur avancé des secteurs industriels prédit ainsi une croissance modérée mais régulière au cours des prochains mois, alors que celle du secteur des services semble même s’accélérer. Cependant, les nouvelles commandes industrielles ralentissent, ce qui peut annoncer un recul de l’activité au second semestre de 2022…

La courbe des taux nous envoie toujours des signaux menaçants de forte contraction économique. La différence entre le taux à 10 ans et à 1 an est en effet on ne peut plus claire.  Au cours des 70 dernières années, un écart d’une telle ampleur a toujours été le prélude à un recul substantiel de la croissance. À une petite fois près, quelque part au milieu des années 1960[vi].

 

Graphique 4 : Écart entre les taux à 10 ans et 1 an aux États-Unis. Les périodes marquées par une récession NBER se situent dans la zone grise

 

Evolutie van de MSCI USA, MSCI Europa en MSCI eurozone sinds 01.01.1992. Nettoreturnindex in €.

Mais que penser des chiffres de l’emploi publiés récemment ? Avec une création de plus de 500 000 (!) emplois en juillet - le double de la prévision la plus optimiste - l’économie américaine a levé tous les doutes sur ses performances futures.  

Cela incitera sans aucun doute la Fed à procéder à des relèvements de taux (encore) plus drastiques. La probabilité d’une triple hausse du taux d’intérêt (totalisant ainsi 75 points de base) en septembre a même grimpé à 70 %, après la publication de ces chiffres de l’emploi époustouflants. [vii]

Ce bond de géant serait suivi par d’autres relèvements en novembre et décembre, ce qui hisserait le taux directeur à 3,5 %. Un niveau un peu trop élevé, selon nous, parce qu’il menace d’étouffer l’économie américaine. D’où aussi la réaction négative des bourses d’actions après la publication de ces créations d’emploi miraculeuses en juillet. Peut-être que la Fed ne se laissera pas aveugler par ces chiffres ? Ces statistiques montrent par ailleurs des signes manifestes d’un affaiblissement imminent du marché du travail. Le nombre de nouvelles offres d’emploi diminue en effet rapidement. Or, cet indicateur est en avance de six mois sur la création d’emplois. 

La banque centrale américaine trouvera cependant rapidement les arguments pour, le 21 septembre prochain, relever son taux directeur de trois-quarts de pour cent. Les salaires ont en effet continué à augmenter sensiblement, et ce dans tous les secteurs de l’économie. Pourtant, cette croissance salariale ne nous inquiète pas (pour l’instant). Une augmentation régulière des rémunérations au rythme actuel et dans le contexte présent est une réponse appropriée aux tensions inflationnistes, sans leur fournir pour autant une nouvelle dose d’oxygène. 

Cela nous conduit à un positionnement prudent en actions, surtout centré sur les États-Unis et les entreprises qui ont des chances réalistes de continuer à croître. Mais toutes ces circonstances ne nous empêchent pas de garder la tête froide.

 

[i] Peut-être que le seul avantage à en retirer se situe sur le front domestique ? Le corps électoral d’origine asiatique a augmenté de plus de 30 % au cours de la dernière décennie. Actuellement, l’électeur sino-américain moyen vote démocrate, mais d’ici aux prochaines élections pour la Chambre et le Sénat, il pourrait basculer dans l’autre camp. En tapant du poing sur l’échiquier international, Nancy Pelosi espère les retenir définitivement de son côté.

[ii] Taïwan peut être encerclé facilement et ensuite isolé (disons-le : affamé). Les manœuvres militaires l’ont prouvé à suffisance. L’inconnue ne vise plus les opérations amphibies nécessaires pour débarquer sur les côtes. La flotte de guerre chinoise est désormais bien armée pour les réussir. Le principal problème reste la prise de la zone montagneuse qui s’étend sur l’ancienne Formose. Une telle offensive impliquerait une telle quantité de troupes et carburant, sans compter une coordination sans faille, que le succès de l’invasion ne serait pas assuré. D’ailleurs, qui aurait intérêt à une conquête dévastatrice de cette ampleur ?

[iii] 10 milles marins pour être précis.

[iv] Nous nous limitons à cet égard aux 500 principales entreprises qui composent l’indice S&P Composite. À présent, 90 % de ces entreprises ont publié leurs résultats du deuxième trimestre.

[v] L’indice PCE est la mesure de l’inflation sur laquelle la Fed se base pour déterminer sa politique monétaire. L’abréviation PCE signifie Personal Consumption Expenditure.

[vi] En 2019 aussi, la courbe des taux indiquait l’imminence d’une récession. Pur hasard, bien entendu, puisqu’aucune personne sensée n’ose prétendre qu’elle a réussi à prédire la récession de la pandémie de COVID-19.

[vii] Comprenons-nous bien : la probabilité d’un double « hike » (d’un demi-pour cent) à la suite de la réunion du FOMC du 21-09 s’élève à 100 %.  Sans le moindre doute, donc.

 

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