Les sept plaies de Wall Street (...)

29 septembre 2022

(…) et, par extension, du reste des bourses mondiales. Bien qu’il ne soit jamais bon de généraliser. Ainsi, contrastant avec le marasme sur d’autres marchés financiers, les bourses indiennes flirtent avec leurs sommets et la roupie était l’une des rares devises à suivre le dollar US dans sa marche haussière, jusqu’à ce que le billet vert nous gratifie d’une accélération dévastatrice et que la monnaie indienne doive également lâcher prise, comme l’avait fait avant elle, l’euro, la livre britannique et le yuan. 

Traditionnellement, une forte appréciation de la devise américaine met surtout en difficulté les pays émergents. Il est donc d’autant plus étonnant que le marché des actions indiennes parvienne à afficher une bonne performance en 2022[i]. Cette situation s’explique d’une part par la tendance fondamentalement haussière de l’économie indienne qui réussit, même en cette année calamiteuse, à enregistrer une croissance réelle de 3 %, en raison en grande partie du dynamisme de son marché intérieur.  Et, d’autre part, par le fait que l’Inde reste épargnée (provisoirement), grâce à son attitude opportuniste dans le conflit géopolitique, par la crise énergétique et peut ainsi maintenir l’inflation, pour une partie du moins, en dehors de ses frontières. 

Grafiek 1 : Évolution de la bourse indienne par rapport à l’indice MSCI Monde et à l’indice MSCI Pays émergents (return net en euro)

Graphique 1 : Évolution de la bourse indienne par rapport à l’indice MSCI Monde et à l’indice MSCI Pays émergents (return net en euro)

La progression du dollar US par rapport à l’euro (et à la plupart des autres devises) est due, dans une mesure importante, à l’évolution des écarts de taux réels (attendus) entre les États-Unis et le reste du monde. La banque centrale américaine hisse, à un rythme effréné, son taux directeur à des niveaux toujours beaucoup plus élevés qu’il n’est possible ailleurs, alors que l’autosuffisance des États-Unis en gaz les rend (beaucoup) moins vulnérables à l’approvisionnement chancelant en provenance de Russie. Entre-temps, le contexte géopolitique y favorise également un niveau record des investissements étrangers dans la mesure où tous ceux qui ne voient pas d’un bon œil les développements actuels considèrent les États-Unis comme la destination la plus sûre. Et de tendances défavorables, il n’en manque pas… 

Le taux de change dollar-euro se situe aux alentours des valeurs-limites de notre modèle de valorisation fondamental. Nous ne craignons donc pas un affaiblissement et ne tablons pas non plus sur un nouveau renforcement substantiel. 


Graphique 2 : Le taux de change US$/€ et sa valorisation selon notre modèle fondamental

Graphique 2 : Le taux de change US$/€ et sa valorisation selon notre modèle fondamental

Vous pourriez trouver paradoxal que les actions américaines (et en particulier leur composante technologique) soient perçues comme l’investissement le plus sûr. Ne fut-ce que parce que ces valeurs ont également souffert ces derniers mois. Par rapport à d’autres classes d’actifs, leurs pertes sont cependant restées limitées, malgré la forte remontée des taux d’intérêt à long terme, qui ont fait chuter les cours des obligations à long terme, ou la crise énergétique qui a fait s’écrouler les actions industrielles européennes ou encore la révision à la baisse de la croissance économique attendue. 

Les actions américaines ont moins perdu en valeur parce que les conséquences négatives de la révision de la croissance et de la hausse (énorme) des taux d’intérêt à long terme sont compensées partiellement par une baisse de la prime de risque : Les investisseurs se satisfont d’une moindre rémunération du risque parce que les actions américaines offrent une meilleure qualité que d’autres classes d’actifs. Une prime de risque plus basse fait grimper les cours des actions, ce qui compense une partie de la pression baissière exercée par la remontée des taux et des perspectives de croissance plus faibles. Exprimé en euro, l’indice composite S&P (return) affiche encore une performance légèrement positive par rapport à son niveau juste avant l’invasion (le 24.02.2022). 

Graphique 3 : S&P composite (return en euro), actions indice MSCI Monde (return net en euro) et obligations d’État européennes (durée 7 à 10 ans) 

Graphique 3 : S&P composite (return en euro), actions indice MSCI Monde (return net en euro) et obligations d’État européennes (durée 7 à 10 ans)

En Europe, il n’est absolument pas question d’un recul de la prime de risque. Sa proximité avec le conflit militaire et les menaces relatives à son approvisionnement énergétique n’ont fait qu’accroître les risques. Les hausses de taux dramatiques et la croissance orientée à la baisse peuvent ainsi affecter pleinement les prix des actions.

Grâce au poids important des actions américaines, l’indice mondial des actions (exprimé en euro) n’est également « que » de 2 % dans le rouge.  Les deux indices le doivent bien entendu à l’appréciation du billet vert, lequel a progressé par rapport à l’euro de plus de 15 % durant cette période. Les actions et obligations dans la zone UEM ont baissé plus ou moins du même ordre de grandeur. 

Si nous n’avons jamais fait mystère de notre nette préférence pour les actions américaines, nous ne pouvons qu’observer, consternés, la façon avec laquelle la banque centrale entend sciemment faire plonger l’économie des États-Unis en récession. Cette perspective ne s’explique pas uniquement par l’augmentation mastoc du taux d’intérêt à court terme, mais également, et surtout, par les commentaires du président de la Fed. 

En répétant inlassablement que de plus fortes hausses des taux directeurs sont encore à venir, Jay Powell reconnaît en fait que sa politique n’a eu que peu d’effet, voire aucun, sur l’évolution de l’inflation, ce qui provoque également une forte progression des taux d’intérêt à long terme. Cet impact est encore renforcé par l’intention de la Fed de réduire son bilan, en clair de vendre des obligations, ce qui ne peut qu’alimenter la hausse des taux. 

Il s’ensuit également une hausse des taux hypothécaires avec, à la clé, un recul de l’activité de construction et une réduction de l’offre de logements. L’économie est cependant suffisamment forte actuellement pour maintenir la demande de logements en location à un niveau élevé. Les loyers continuent donc à augmenter, ce qui alimente une nouvelle progression des indicateurs d’inflation. Fournissant ainsi le prétexte à la Fed pour renforcer encore son mouvement d’étranglement et affirmer que son taux directeur doit encore aller plus haut… 

C’est potentiellement très néfaste pour l’économie et risque de provoquer une récession inutile. Mais les marchés financiers s’inquiètent surtout du fait que la banque centrale ne tente absolument rien pour protéger (ne fut-ce que partiellement) la croissance économique et l’emploi futurs contre tout dommage ne répondant à aucune nécessité. Un peu comme si un chien de berger tuait les moutons sous sa garde pour éviter que le loup ne puisse le faire. En en éprouvant de la fierté, par-dessus le marché… 

C’est sans doute la plus grande bévue politique dans l’histoire plus que centenaire (110 ans exactement) de la Réserve fédérale. Nous donnons volontiers la parole à Jeremy Siegel, le légendaire professeur de finance de Wharton qui a fait sensation, en 1992, en calculant le potentiel haussier époustouflant des actions américaines[ii] sur de longues périodes et ensuite en distillant ses enseignements à cet égard dans le bestseller « Stocks for the long run » (« Investir sur les actions à long terme », édition en français). 

Après avoir beaucoup trop tardé à ralentir l’inflation, on utilise à présent l’arme des taux en faisant de l’excès de zèle. Une réaction typique d’une politique défaillante, qui tente de compenser son manque de clairvoyance originel par une sévérité excessive. Ce qui ne fait qu’aggraver le problème… 

Que vous soyez d’accord ou non avec sa politique, la Fed signale qu’au terme de chacune des trois prochaines réunions du FOMC, elle relèvera son taux directeur de 75, 50 et 25 points de base respectivement le 2 novembre, le 14 décembre et le 1er février. 

L’Europe ne constitue aucune solution de rechange pour les investisseurs. Au contraire, la situation géopolitique se fait toujours plus pesante à mesure que l’hiver approche et que les effets pervers des sanctions alimentent le mécontentement intérieur. Le prix du gaz sur les marchés européens a cependant déjà été divisé par deux depuis son sommet le 26 août, mais est encore 60 % supérieur à son niveau au début de la crise. La flambée la plus récente de son prix n’est en réalité que la nième d’une longue liste de fluctuations au cours de ces dernières années, ce qui révèle l’instabilité des fondations industrielles européennes.

Dans de telles circonstances, il n’est que juste de conserver une position substantielle en actions aux États-Unis, en sachant que là aussi le plancher de la mi-juillet sera à nouveau testé avant un redressement qui sera progressif et hésitant. Les actions européennes restent tabou, mises à part quelques exceptions spécifiques. Actuellement, le principal défi à relever se situe cependant du côté du front obligataire. Les taux ont en effet tellement progressé que des opportunités se présenteront sans doute à terme. Mais la poursuite de la tendance haussière des taux ne permet pas encore de relever les positions en obligations d’État européennes, malgré le net recul des cours du papier à rendement fixe. 

La chute des cours des obligations est inédite sur un plan historique. Le return annuel total (évolution des cours et versement d’intérêts) des obligations d’État allemandes d’une durée de 10 ans affichait -15,4 % (!) le 23 septembre 2022. C’est la performance la plus faible en 70 ans. Le précédent plancher avait été atteint en août 1981, à -15,4 %.

En Belgique, la perte annuelle s’élevait même à 17,37 % le 23-09-2022, ce qui est également la pire performance en 7 décennies. Bien plus mauvaise encore que le précédent record de gel, enregistré en juin 1980. Aux États-Unis, une perte annuelle record de 15,65 % a été atteinte le 22-09 de cette année horrible. D’un point de vue européen, cette performance négative est cependant compensée par l’appréciation du dollar US par rapport à l’euro (+21 % en base annuelle).

Nous renonçons à formuler vaguement tout commentaire positif. Nous devons en effet tirer les leçons du passé, et donc ajuster les mauvaises positions. If the facts change, we change our mind. What do you do…?[iii]

Nous sous-pondérons donc les actions, sans sombrer dans le fatalisme. Les actions américaines justifient encore notre patience à leur égard. Pour les obligations, il est encore trop tôt pour envisager une durée plus longue ou une position plus grande. Le cash est donc le roi, et cela d’autant plus que la détention de liquidités offre à nouveau des rémunérations positives. Le règne du Cash ne durera cependant pas longtemps car la situation reviendra certainement à l’avantage des actions. Mais son timing est impossible à prévoir. Any minor world that breaks apart, falls together again. Any major dude will tell you[iv].

[i] Le rapport cours-bénéfice attendu de la bourse indienne a donc fortement augmenté et s’élève à présent à 22,3. À titre de comparaison : Aux États-Unis, ce ratio PE n’est « que » de 16,7 et le rapport cours-bénéfice attendu dans la zone euro est retombé à 11,2.

[ii] Jeremy Siegel : Stocks for the long run in Financial Analyst’s Journal, January 1992

[iii] Une formule attribuée au père spirituel de tous les économistes, John Maynard Keynes, mais également au plus compétent de tous les économistes, Paul A. Samuelson et - comme toujours - aussi à Winston Churchill.

[iv] Ici, son auteur est incontestable, il s’agit du meilleur groupe de rock de tous les temps : Steely Dan. 

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