La Russie contre l’Ukraine et le monde

 Les conséquences économiques et l’impact sur votre portefeuille

4 mars 2022

Auteur: Sebastiaan Grenné, gestionnaire de fonds chez Argenta Asset Management

C'est la guerre en Europe. Ce n'est pas notre travail en tant que gestionnaires de fonds de prédire le cours ultérieur d'une guerre, mais bien d'estimer autant que possible quelles en seront les conséquences économiques. Et surtout, quelles pourraient être les conséquences possibles sur les différents actifs financiers et votre portefeuille. C'est ce que nous allons développer dans ce texte : une explication de l'impact économique potentiel, de l’attitude des marchés financiers et de notre positionnement dans les fonds essentiels.

Une guerre en Europe

Après des semaines et même des mois d'intenses négociations diplomatiques entre la Russie, l'Ukraine et l'Occident, au cours desquelles la Russie a de plus en plus rassemblé ses troupes aux frontières avec l'Ukraine, l'armée russe a lancé une invasion à grande échelle de cette dernière le matin du 24 février. Le président Poutine soutient depuis longtemps que l'éventuelle adhésion de l'Ukraine à l'OTAN constitue une menace pour la Russie. En outre, il a également affirmé ces derniers mois que le régime ukrainien était coupable de génocide contre la population russophone. Il utilise maintenant ces arguments pour justifier l'invasion massive de son pays voisin.

Malgré l'évidente escalade rhétorique de la Russie et l'accumulation de troupes observée à la frontière avec l'Ukraine, peu de gens pensaient que Poutine lancerait effectivement une attaque massive. Le renseignement occidental avait pourtant correctement remarqué que le renforcement des troupes correspondait à la préparation d'une invasion. Mais on supposait généralement qu'il s'agissait d'exercer une pression diplomatique. Peu de gens s'attendaient cependant à ce que Poutine piétine de manière aussi flagrante l'ordre géopolitique en place.

Ce que nous savons maintenant, c'est que cette guerre, menée de plus en plus dans les rues et les villes d'Ukraine, fera des victimes non seulement du côté militaire, mais aussi du côté civil. En plus de cette énorme souffrance humaine, la guerre va aussi peser lourdement sur l'économie. Certes en Ukraine, mais aussi en Russie, qui s'isole du monde et subit de très lourdes sanctions économiques (voir plus loin dans ce texte). De plus, ce conflit va également remodeler radicalement l'ordre géopolitique mondial.

Les conséquences économiques de la guerre

Lorsque nous examinons les conséquences économiques mondiales de la guerre en Ukraine, nous pensons d'abord à l'impact de la hausse des prix de l'énergie. La Russie est l'un des principaux fournisseurs d'énergie de l'Europe et joue un rôle central dans l'approvisionnement mondial en combustibles fossiles. Environ 25 % des importations européennes de pétrole proviennent de Russie, et 45 %1 du gaz nécessaire. Il est donc clair que l'Europe est particulièrement dépendante de la Russie pour son approvisionnement énergétique. Il est également frappant de constater que ce combustible continue de circuler (pour l'instant), même à travers les pipelines en Ukraine.

L'invasion et les tensions qui l’ont précédée ont déjà fait flamber les prix de l'énergie. Le prix du gaz européen a augmenté d'environ 30 % le jeudi 24 février après avoir déjà été très haut pendant tout l'hiver. Le prix du pétrole est monté presque immédiatement au-dessus de 100 dollars le baril, quatre fois plus qu'au point le plus bas de la crise liée à la Covid. Actuellement, le prix du pétrole continue d'augmenter, et il dépasse déjà les 110 $ le baril. Mais cela reste bien en deçà du sommet historique de 2008 (140 $ le baril). Pour l'instant, la hausse du prix du pétrole reste légèrement moins forte que dans les pires scénarios que certains analystes avaient envisagés dans le cas d'une guerre à grande échelle. Ils parlaient initialement d'un prix allant jusqu'à 150 dollars le baril.

Le pétrole est bien sûr une matière première facilement transportable. Même si les pays occidentaux arrêtaient d'acheter du pétrole russe, il peut facilement être vendu à la Chine, par exemple. Cela permettra au marché pétrolier de retrouver assez rapidement un nouvel équilibre. Cette constatation, combinée au fait que les sanctions n'affecteront pas le commerce de l'énergie pour le moment, explique probablement pourquoi le prix du pétrole n'a pas encore atteint des sommets extrêmes.

Mais un prix du pétrole supérieur à 100 dollars le baril pourrait avoir des impacts significatifs sur l'économie mondiale. De nombreuses entreprises verront une augmentation significative de leur facture énergétique. Les consommateurs devront également réserver une part plus importante de leur budget à leur consommation d'énergie. En conséquence, la hausse des prix des carburants freinera la croissance économique dans la période à venir.

Cours pétroliers

Non seulement les prix de l'énergie connaissent une forte hausse en raison du conflit, mais les prix des denrées alimentaires augmentent également très rapidement. L'Ukraine, appelée aussi le grenier à grains de l’Europe, est le quatrième exportateur mondial de blé et la Russie le premier. Ce sont également de très gros exportateurs d'autres produits agricoles, par exemple l’engrais. Il n'est donc pas surprenant que les prix des denrées alimentaires aient si fortement progressé cette année. Cette hausse exercera une pression sur les taux d'inflation et entamera une fois de plus les budgets de dépenses des consommateurs.

La guerre en Ukraine pourrait également perturber à nouveau les chaînes d'approvisionnement mondiales. Celles-ci étaient déjà sous forte pression en raison de la crise de la Covid. Les usines ou les ports fermés d'un côté du monde en raison des épidémies de Covid ont provoqué des pénuries d'intrants pour la production à l'autre bout du monde. En conséquence, les usines ne pouvaient pas fonctionner à pleine capacité et les coûts des intrants de nombreuses entreprises ont considérablement augmenté. Cela risque maintenant de se produire à nouveau en raison du fait que certaines entreprises ont besoin d'importations en provenance de la Russie ou de l'Ukraine.

Outre cet impact économique direct de la guerre, il y a aussi l'impact des sanctions que les pays occidentaux imposent à la Russie. La plus importante d'entre elles semble actuellement être le gel des avoirs extérieurs de la banque centrale russe et l'exclusion d'un grand nombre de banques russes des paiements internationaux via le système Swift. Il est donc de facto très difficile pour les entreprises russes de participer au commerce mondial. Elles ne peuvent en effet plus envoyer ni recevoir de paiements. Ces mesures peuvent faire des ravages dans l'économie russe, mais peuvent aussi avoir un impact sur les entreprises occidentales. Il suffit de penser aux banques européennes qui peuvent avoir des prêts à des entreprises russes qui ne peuvent plus les rembourser. Ceci est également clairement visible dans les cours des actions des banques européennes, l'un des secteurs les plus durement touchés au cours de la semaine dernière. Nous avons une exposition très limitée aux banques européennes dans nos fonds essentiels.

La résilience de l’économie sous pression

Au cours de l'année écoulée, nous avons observé une très forte dynamique économique en Europe et aux États-Unis. Cela a été principalement dû au fait que les consommateurs ont repris leurs dépenses en toute confiance après que le pire de la crise de la Covid soit passé. Et les entreprises ont également investi massivement pour répondre à la demande croissante tandis que les gouvernements ont dégagé des budgets pour soutenir l'économie. La combinaison de tout cela a permis de faire état de bons chiffres de croissance économique. Ces chiffres de croissance ont également été soutenus par la base de comparaison qui était aisée. En 2020, l'économie a chuté en raison de la crise de la Covid et des confinements associés. Et donc en 2021, soit un an plus tard, nous avons pu enregistrer de bons taux de croissance. Cet avantage est en train de disparaître : en 2022, on compare la croissance par rapport à la déjà très bonne année 2021.

À cette base de comparaison plus difficile se superpose désormais le conflit en Ukraine et la hausse des prix de l'énergie et de l'alimentation qui l'accompagne. Ajoutez à cela la grande incertitude géopolitique qui pèsera sur la confiance des consommateurs et des chefs d'entreprise. En conséquence, la croissance économique en 2022 risque de ne pas être aussi élevée qu'on le pensait initialement.

L’inflation et les banques centrales

Après l'été 2021, les marchés sont devenus de plus en plus préoccupés par la hausse des prix. L'objectif des banques centrales est de maîtriser cette inflation. En conséquence, les marchés ont de plus en plus pris en compte d'éventuelles hausses de taux d'intérêt par ces dernières. Cela permettrait aux banquiers centraux de « refroidir » l'économie (des taux d'intérêt plus élevés signifient moins de prêts et donc moins d'investissement et de consommation). Cependant, les marchés ont tenu de plus en plus compte du danger que les banques centrales ralentissent trop l'économie et la poussent vers la récession. Ce qui constituerait un scénario très négatif pour les actions. C’est la raison du parcours plus difficile des marchés boursiers ces derniers mois.

Le conflit en Ukraine a également complètement bouleversé cette dynamique. Ce conflit est clairement inflationniste. La hausse des prix de l'énergie fait grimper l'inflation générale. Mais les banques centrales regardent surtout l'inflation sous-jacente, sur laquelle les prix de l'énergie n'ont pas d'impact direct. Par contre, si les entreprises commencent à répercuter la hausse des coûts énergétiques sur leurs produits, cela aura également un impact sur l'inflation sous-jacente. Ainsi, si la hausse des prix de l'énergie se poursuit longtemps, l'inflation sous-jacente augmentera également davantage et les banques centrales seront davantage poussées à intervenir. En outre, les nouveaux problèmes potentiels dans la chaîne d'approvisionnement mondiale pourraient également entraîner une nouvelle hausse des prix. Aucune bonne nouvelle donc sur le front de l’inflation pour les banques centrales.

Mais le conflit exercera également une pression sur la croissance économique, surtout s'il dure longtemps. L'objectif des banques centrales est double, elles ne veulent pas seulement garder l'inflation sous contrôle, elles veulent aussi soutenir l'emploi. Pour cela, elles ont besoin de croissance économique. Si cette croissance est mise sous pression en raison de la crise, ce sera donc un difficile exercice d'équilibre pour les banquiers centraux. D'une part, ils doivent limiter l'inflation et, d'autre part, soutenir l'économie. Le risque d'un mauvais choix politique par les banques centrales a donc augmenté.

Pour l'instant, les marchés prennent ce problème du côté positif. Le nombre prévu de hausses de taux par la Fed et la BCE a diminué depuis l'invasion. En conséquence, ils estiment que la croissance économique ne sera pas trop ralentie, ce qui est favorable pour les marchés boursiers. Cela nous permet également d'expliquer la réaction modérée des bourses depuis l'invasion. On voit de fortes fluctuations des indices du jour au lendemain ou dans la journée, mais finalement pas de pertes majeures pour les marchés boursiers mondiaux dans leur ensemble. Surtout si l'on compare cela avec les baisses de la bourse russe.

Évolution des marchés boursiers (en Euro)

L’impact sur les marchés financiers et notre positionnement dans les fonds essentiels

Actions

Après l'annonce par Poutine qu'il reconnaissait les régions revendiquées par les rebelles de l'est de l'Ukraine (Donetsk et Lougansk) comme un pays indépendant et y envoyait des troupes, nous avons décidé de réduire notre risque dans les fonds essentiels. Nous avons procédé en vendant des actions le mercredi 23 février, et en nous positionnant de manière neutre par rapport à notre indice de référence en termes d'exposition aux actions. Cette vente s'est faite via des trackers*, ce qui nous a permis d’agir le plus rapidement possible. En ces temps incertains, il nous semblait en effet important de réagir au plus vite.

Nous ne prétendons bien sûr pas que nous nous attendions à ce que la Russie lance une invasion à grande échelle de l'Ukraine. Ce que nous pensions, c'est qu'il y avait un risque que le conflit s'intensifie davantage, que cela exerce une pression supplémentaire sur les prix de l'énergie, une pression à la hausse sur l'inflation et une pression à la baisse sur la croissance économique. D'où la décision de se positionner de manière neutre à ce moment-là.

Aujourd'hui, nous constatons que le conflit s'est considérablement aggravé et que les prix de l'énergie augmentent fortement. Dans le même temps cependant, la réaction des marchés boursiers n'est pas dramatique. Probablement parce qu'on tient moins compte aujourd'hui d'un excès de hausse des taux d'intérêt par les banques centrales et que l’on pressent une plus grande probabilité d'investissements massifs des autorités publiques.

À court terme, nous voyons plutôt des risques pour les actions en cas de nouvelles plus négatives du conflit qu’en cas de gains boursiers importants. Mais la situation actuelle reste très difficile à prévoir. C'est pourquoi nous avons maintenant intégré une légère sous-pondération à notre positionnement en actions. Tous les fonds essentiels ont désormais une pondération en actions inférieure de 1,5 % à leur pondération neutre.

Obligations

Sur le marché obligataire, on peut dire que l'invasion de la Russie a provoqué une rupture de tendance. Ces derniers mois, nous avons vu les taux d'intérêt à long terme en Europe et aux États-Unis augmenter lentement. En raison de la fuite des investisseurs vers les obligations d'État sûres, et des attentes ajustées de hausse des taux d'intérêt par les banques centrales dont nous avons discuté plus haut, nous avons constaté une baisse des taux d'intérêt à long terme depuis l'invasion.

Historische evolutie van de 10 jaarsrente

Nous pensons toujours qu'une tendance haussière s'est amorcée dans les taux d'intérêt à long terme, comme indiqué dans les flashes précédents. Mais tant que ce conflit entretient l'incertitude sur les marchés financiers, nous pourrions assister à de nouvelles baisses. C'est pour ces raisons que nous maintenons toujours notre sensibilité aux taux d'intérêt inférieure à celle du marché, mais qu’à court terme, nous avons acheté davantage d'obligations d'État sûres, notamment américaines. Pour rappel, lorsque les taux d'intérêt baissent, le prix d'une obligation d'État augmente. L'argent libéré par la vente d'actions a ainsi été investi dans des obligations d'État servant d’amortisseur supplémentaire.

Conclusion

Il reste essentiel de ne pas se laisser guider par l'émotion au niveau des investissements. Et certainement pas dans la période très volatile que nous traversons actuellement sur les marchés financiers. Certains jours, nous passons de l'euphorie à la panique, puis terminons la journée sans changement. Les événements géopolitiques sont presque impossibles à prévoir et leur impact sur l'économie est très complexe. La même philosophie continue de s'appliquer aux investisseurs : restez toujours investis sur le marché avec un portefeuille de placement large et diversifié à l'échelle mondiale qui correspond parfaitement à votre profil de risque. Dans nos fonds essentiels, d'une part, nous assurons un équilibre sain entre suffisamment d'instruments sous-jacents qui servent de tampon partiel lorsque les marchés sont en difficulté. D'autre part, nous veillons à être positionnés de manière à pouvoir bénéficier de la reprise une fois la crise passée. Et c'est au moins aussi important.

Nous restons entièrement concentrés sur la gestion attentionnée et professionnelle des investissements de nos clients. Tous les jours et en toutes circonstances. Et surtout dans le contexte exceptionnel d'aujourd'hui.

[1] Les chiffres peuvent varier en fonction des sources consultées.

[2] Un « tracker » suit une valeur sous-jacente, par exemple, un indice d’actions déterminé.

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