Fête de la libération

30 avril 2020

Après l’annonce des dates (provisoires) du déconfinement progressif, il sera difficile de revenir en arrière. Cette fois, un rappel à l’ordre émanant d’un ministre ou d’un virologue n’y suffira pas, même si un confinement mal organisé peut provoquer une recrudescence du nombre d’infections virales. 

Les mesures inédites qui nous ont été imposées au cours de la période écoulée ont eu le temps de prouver leur efficacité. Dans l’arbitrage entre le coût économique considérable du confinement et les dangers pour la santé publique d’un déconfinement, le premier élément commence – du moins, nous en avons l’impression – à prendre le pas sur les seconds. Pourvu que les mesures de protection appropriées soient mises en place – mais sans plus tarder à présent – on devrait revenir à une situation plus ou moins normale.

Sinon, nous sommes à la merci d’une déstabilisation fondamentale de l’économie comme nous n’en avons plus connue depuis des décennies. Avec une contraction du PIB respectivement de 4,8 % aux États-Unis, de 6 % en France, de 5,2 % en Espagne et de 9,3 % en Italie, il est clair que notre économie risque d’étouffer à relativement brève échéance. Il nous reste maintenant, sans rechigner, à mettre nos masques, à enfiler nos gants et à aller de l’avant. 

Il ne faudra pas tarder non plus à évaluer les mesures de restriction. Non pas pour pointer un doigt accusateur, mais plutôt pour déterminer lesquelles de ces mesures ont été efficaces pour réduire le nombre d’infections virales, celles qui n’ont servi à rien tout en coûtant très cher et, enfin, celles qui ont encore aggravé le problème.

Nous devrons aussi déterminer précisément – comme pour chaque crise systémique, qu’elle ait lieu dans le secteur financier ou dans celui des soins de santé – le contexte dans lequel ce parasite a pu se développer, en toute discrétion, aussi facilement. Comment aurions-nous pu mieux freiner la propagation du virus ? Que faut-il mettre en place pour que la bombe biologique n’explose plus, comme cela s’est produit en Italie, en Espagne et à New York ?

Entre-temps, le paysan a continué à labourer son champ et les bourses mondiales ont poursuivi leur redressement. On peut presque le qualifier de fanfaronnade. On ne peut en tout cas qu’admirer le calme et la rationalité, à quelques jours de panique près, avec lesquels les marchés ont intégré cette situation inédite. Mais nous vous avions demandé alors de détourner le regard devant ce spectacle gênant.

Graphique 1 : Évolution de quelques indices boursiers (indice return en euros)

Graphique 1 : Évolution de quelques indices boursiers (indice return en euros)

La correction haussière des bourses mondiales s’explique pour des raisons bien connues : la faiblesse des taux d’intérêt couplée à des stimulants financiers substantiels, l’espoir que l’épidémie est (quasi) sous contrôle combiné à l’annonce des résultats encourageants obtenus avec les tests du remède miracle de Gilead et de la mise au point d’un vaccin efficace envisagée par des chercheurs à Oxford et en Chine dès l’automne prochain.

D’ici là, gardez tout de même à l’esprit que les bourses tablent sur une relance de l’économie à l’échelle mondiale alors qu’on dénombrera encore pendant quelque temps des centaines de milliers de cas d’infection, ce qui devrait provoquer une deuxième vague pandémique. Mais cette « offensive des Ardennes » de type viral sera elle aussi neutralisée.

Ce contexte encore très incertain explique que la volatilité (attendue) sur les marchés financiers reste plutôt élevée. Le niveau actuel de (quelque) 30 % reflète encore un taux de fluctuation (attendu) de 2 % en base journalière. Optimistes comme nous le sommes, nous envisageons non seulement les mouvements baissiers mais aussi les variations haussières.  

Graphique 2 : Volatilité attendue de la Bourse des actions américaines. 

Graphique 2 : Volatilité attendue de la Bourse des actions américaines.

Nous sommes surtout frappés par le fait que ces hausses boursières interviennent en plein déluge de chiffres économiques désastreux, défiant toute imagination. Dans la plupart des pays, la chute de l’activité économique est même plus importante que lors de la crise financière. Et comment s’en étonner, puisque cette dernière n’avait pu prendre une telle ampleur qu’en raison d’une série invraisemblable de bévues politiques. Mais si, d’un point de vue économique, la crise du coronavirus est bien plus grave que la débâcle de 2008, au moins à présent les décideurs ont fait preuve d’un meilleur sens des responsabilités en y répondant de manière appropriée en relativement peu de temps. 

Les bourses mondiales préfèrent donc ne pas trop s’appesantir sur les chiffres économiques dramatiques actuels et tourner leur regard vers le redressement à partir du second semestre. Bien sûr, il serait naïf de croire que tout sera rétabli au troisième trimestre. Les dommages sont si profonds que la convalescence aura besoin de plus de temps, malgré toutes les mesures de soutien.

Aux États-Unis, les bénéfices des entreprises attendus pour l’ensemble de 2020 (y compris donc la période actuelle) ont été corrigés à la baisse de 15 %. En Europe, parfois plus, parfois moins. Il n’empêche : le tableau d’ensemble des baisses des bénéfices d’entreprise attendus ressemble à une affiche de film d’horreur.  À déconseiller aux âmes sensibles. 

Graphique 3 : Évolution attendue d’une année à l’autre des résultats des entreprises européennes (plus le Japon) 

Graphique 3 : Évolution attendue d’une année à l’autre des résultats des entreprises européennes (plus le Japon)

Les grandes divergences intraeuropéennes s’expliquent surtout par des spécificités sectorielles et l’incidence variable de l’infection virale dans les différents pays.  Ainsi, le Danemark et la Suisse ont retrouvé assez rapidement leur niveau de cours (plus ou moins) de la fin de 2019, alors que les cancres que sont la Grèce, l’Autriche et la Belgique en sont encore très éloignés. De leur côté, l’Espagne et l’Italie ont payé un tribut effroyable, sur le plan humain comme au niveau financier. 

Tableau 1 : Évolution de diverses bourses depuis le 01.01.2020

Tableau 1 : Évolution de diverses bourses depuis le 01.01.2020

En Europe, les chiffres économiques s’avèrent d’ailleurs encore plus désastreux qu’aux États-Unis. Les investisseurs doutent peut-être de la détermination des politiques à agir comme il se doit dans une Europe toujours divisée. À moins qu’ils ne craignent que l’Europe se montre trop prudente pour rouvrir son économie.

Mais, en définitive, nous nous réjouissons de la solidité boursière que nous avons observée jusqu’à présent. Depuis leur plancher (le 23 mars), la plupart des bourses sont revenues en bull territory(1) .

Graphique 4 : Évolution de plusieurs bourses mondiales après leur plancher du 23 mars 2020. 

Graphique 4 : Évolution de plusieurs bourses mondiales après leur plancher du 23 mars 2020.

Y compris dans la zone euro, mais le Vieux Continent paraît fragile. Une rechute rapide n’est pas à exclure. Cette vulnérabilité peut s’expliquer en partie par la crainte d’une dégradation des ratings de plusieurs États particulièrement touchés par la pandémie. Le problème se situe surtout du côté des marchés obligataires, où les investisseurs s’inquiètent de plus en plus d’éventuelles baisses de rating visant des obligations d’entreprise et de plusieurs États dont la notation se trouve déjà dans la zone de danger. Une notation de crédit qui passe sous le niveau BBB déclenche en effet une avalanche d’ordres de vente que les autorités monétaires peuvent difficilement freiner.

Cette crainte s’est déjà matérialisée à l’égard de l’Italie après que l’agence de notation Fitch a rabaissé, de manière inattendue, le rating du pays à BBB-. L’Italie est donc très proche du précipice, ce qui s’est ressenti immédiatement dans ses taux d’intérêt (ils ont progressé) et les cours de ses obligations (ils ont baissé). Les conséquences sont restées raisonnablement limitées parce que Fitch a indiqué qu’elle accompagnait ce nouveau rating d’une perspective « stable » et qu’une autre agence de notation, Moody’s, a souligné que l’Italie a fait tout ce qui était nécessaire pour ne pas laisser la situation dégénérer. 

Graphique 5 : Évolution du différentiel des taux italiens, espagnols et portugais par rapport aux taux allemands.  Obligations d’État à 10 ans. 

Graphique 5 : Évolution du différentiel des taux italiens, espagnols et portugais par rapport aux taux allemands.  Obligations d’État à 10 ans.

Cette position sera maintenue en tout cas jusqu’au prochain sommet de l’UE (le 4 mai ?) lorsque ses États-membres devront se prononcer clairement sur le plan de soutien de l’économie européenne en général et de l’économie italienne en particulier. C’est une belle occasion qui est donnée aux dirigeants politiques européens de prouver leur utilité.

Depuis le sommet atteint par les bourses à la mi-février, les indices globaux affichant des performances positives sont rares, voire inexistants. Depuis le début de l’année, en revanche, on pointe quelques hausses de marchés : la bourse technologique Nasdaq (100), celle du Danemark et, ah oui, celle de Sarajevo aussi...

Et l’examen des indices partiels révèle surtout les bonnes performances des FAANG(2)  et de l’indice NYSE FANG PLUS(3). Avant même la crise, les investisseurs considéraient que ces entreprises étaient appelées à jouer un rôle déterminant dans l’évolution future de l’économie. La solidité opérationnelle dont elles font preuve durant cette période de guerre confirme le statut que le marché leur attribue.

Graphique 6 : Évolution des FAANG, de l’indice NYSE FANG PLUS et du NASDAQ 100 ainsi que des bourses de Copenhague et de Sarajevo. 

Graphique 6 : Évolution des FAANG, de l’indice NYSE FANG PLUS et du NASDAQ 100 ainsi que des bourses de Copenhague et de Sarajevo.

Entre-temps, le président Trump est revenu à sa bonne vieille stratégie : chercher un bouc émissaire. À ses yeux, toute la crise du coronavirus n’est rien d’autre qu’un complot des Chinois visant à faire capoter sa réélection... En réalité, le principal concerné s’y emploie déjà très bien à lui tout seul en multipliant les déclarations absurdes sur les remèdes ménagers, de cuisine et même horticoles pour terrasser le virus.

Il entend en tout cas que l’économie américaine soit relancée au cours du mois de mai. Une option très risquée puisque le nombre de personnes infectées à ce moment-là se situera encore entre 100 000 et 200 000. Mais le « génie stable », comme il se qualifie lui-même, préfère laisser à d’autres cette décision courageuse. 

Dans nos contrées, après l’ivresse des fêtes de libération que chacun envisage déjà avec délectation, suivra une phase de vengeance. Les représailles frapperont les personnes qui, par leurs agissements égoïstes, auront réduit à néant les effets des efforts du plus grand nombre. En principe, dans de telles circonstances, nous sommes partisans de peines appropriées, qui traduisent notre compréhension du contexte et notre sens du pardon. Il faut bien tourner la page et repartir de l’avant tous ensemble.

Mais, cette fois, nous serons sans pitié. Nous plaidons pour la tenue de procès expéditifs, faisant fi des nuances, en vue de prononcer les peines les plus sévères à l’encontre de celles et ceux qui ont pactisé avec l’ennemi, au risque de mettre en péril la santé des autres et en affichant un total mépris à l’égard de tant de courageux dans le secteur des soins de santé et de la grande distribution.

Ces traîtres à la patrie mériteront d’être collés contre un mur, sans commutation de peine possible, pour y être bombardés avec tous les rouleaux de papier toilette que nous aurons retrouvés par palettes entières dans leurs caves et greniers. 

(1) De fait : une hausse de 20 % depuis ce point bas marque un nouveau bull market.

(2) Facebook, Amazon, Apple, Netflix et Google

(3) Facebook, Amazon, Apple, Netflix et Google, auxquelles s’ajoutent notamment NVIDIA, Alibaba, Twitter, Baidu et Tesla. 

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