No retreat, no surrender

6 juillet 2020

Une bonne attaque-surprise, c’est quand personne ne s’y attend. Une réflexion frappée au coin du bon sens. Le coronavirus est passé maître en la matière, comme s’il avait consulté les rééditions les plus récentes de tous les ouvrages de référence en stratégie militaire.  Pendant que le genre humain se résigne à subir une deuxième vague d’infections virales à l’automne, l’ultramicrobe poursuit son travail de sape, s’engouffrant à sa guise dans les failles de nos lignes de défense qui, en fait de remparts, ressemblent plutôt à des passoires. En cause : le plus souvent, une absence de sens des responsabilités à l’égard de sa propre communauté. Et un virus n’est jamais aussi fort que quand on mésestime sa puissance.

Certes, l’Europe et la Chine semblent résister, pour l’heure, à la nouvelle vague d’infections. Mais l’évolution de la pandémie dans les États du sud des États-Unis suscite une inquiétude croissante. L’épicentre s’est déplacé de la côte nord-est vers le Texas et la Floride. Dans le Lone Star State, parce que l’activité économique a été relancée trop tôt, sans mesures d’accompagnement efficaces. En Floride, parce que les portes se sont fermées trop tard pour permettre à l’industrie touristique d’engranger encore les recettes colossales apportées par les étudiants en Spring Break.

Le virus a donc effectué un retour en force à la une de l’actualité. Il redevient ainsi le facteur décisif de l’évolution des marchés financiers au cours des prochains jours. 

Les cours de bourse se sont redressés vigoureusement au deuxième trimestre[1], malgré l’expansion débridée de l’épidémie et les dégâts économiques inédits provoqués par le lockdown.

Graphique 1 : évolution de l’indice mondial des actions et du nombre de cas actifs de Covid-19

évolution de l’indice mondial des actions et du nombre de cas actifs de Covid-19

À présent, les bourses mondiales semblent s’être mises en mode pause, jusqu’à ce qu’elles soient suffisamment convaincues de nos chances de victoire contre le virus. Pour remporter cette guerre, il n’est d’ailleurs pas nécessaire de gagner sur tous les champs de bataille[2]. Pour l’instant, il importe surtout de ne pas baisser les bras. Nous finirons bien par avoir le dernier mot.

En réalité, la crainte des marchés financiers, qui s’est traduite dernièrement par un recul limité des cours boursiers, ne porte pas tellement sur la réinstauration d’un confinement drastique, comme on l’a connu en avril et en mai. Dans un tel scénario, les bourses d’actions battraient en effet beaucoup plus en retraite.  Les marchés s’inquiètent plutôt de l’éventuel retard de la reprise économique attendue, un report qui risquerait aussi de lui faire perdre en vigueur. Cette incertitude est de nature aussi à entamer la confiance avec, à la clé, des consommateurs et des entreprises qui décideraient de reporter, voire d’annuler, leurs dépenses de consommation et d’investissements.

Les baromètres conjoncturels avancés ne pointent cependant pas encore dans cette direction. L’indice de surprise[3] est rouge vif (tant aux États-Unis qu’en Europe), les baromètres PMI[4] affichent dans la zone euro un mouvement de redressement prudent, alors que les composants de l’indicateur ISM[5] annoncent un bond substantiel aux États-Unis. Les évolutions qui ont surpris le plus agréablement ont visé plus particulièrement les ventes au détail ainsi que les ventes de constructions neuves aux États-Unis.  Entre-temps, on observe également une légère amélioration dans les résultats attendus des entreprises, avec même un sursaut étonnant en Chine où le rapport Caixin et les chiffres PMI officiels confirment la tendance haussière.

La remontée des indices d’actions durant les jours les plus sombres de la pandémie reste à nos yeux un des phénomènes les plus surprenants de l’histoire économico-financière, surtout si on intègre dans l’analyse certains indices partiels tels que NYSE FANG[6], CHI-NEXT[7] et NASDAQ.

Graphique 2 : évolution de quelques indices boursiers depuis le 1er janvier 2020

évolution de quelques indices boursiers depuis le 1er janvier 2020

Pour l’heure, évaluer le degré de gravité de la résurgence des infections revient à chercher la réponse dans une boule de cristal. Et les soi-disant experts en sont également réduits, semble-t-il, à émettre des jugements au doigt mouillé. Il faudra pourtant y apporter une réponse bien étayée avant que les marchés ne s’engagent résolument dans l’une ou l’autre direction.

Aux États-Unis, la progression du nombre de cas de contamination active est indiscutable. Et elle n’est certainement pas due seulement à l’augmentation du nombre de tests.

À présent, outre Atlantique, le virus semble s’attaquer à une population sensiblement plus jeune[8] qui semble cependant (en tout cas pour le moment) mieux y résister. Le nombre de victimes ne progresse pas en effet proportionnellement au nombre de contaminations actives. Cette évolution paraît dès lors requérir des mesures moins draconiennes. 

Graphique 3 : nombre de victimes du Covid-19 en base hebdomadaire par million d’habitants 

Graphique 3 : nombre de victimes du Covid-19 en base hebdomadaire par million d’habitants

Mais tenter d’en tirer des conclusions revient à s’aventurer en terrain glissant. L’histoire des pandémies récentes nous apprend en effet que la poussée actuelle ne pourrait vraiment être qu’une « grippette » comparée à la contre-offensive que le virus nous prépare pour l’automne prochain.  Espérons que, d’ici là, un premier vaccin satisfaisant ou au moins un remède fiable soit disponible, que le port du masque soit (enfin) obligatoire et que tous les événements attirant la grande foule soient annulés.  Mais nous surmonterons également la deuxième vague.

Ce qui nous ramène en territoire boursier. Un terrain qui nous est plus familier.

La prime de risque, qui est notre principale boussole au milieu des turbulences boursières mondiales, ne procure à présent qu’un surcroît de rémunération moyen pour les risques pris. La bonne nouvelle, c’est que ce niveau traduit la confiance des bourses en l’évolution économique attendue à long terme. Il y a cependant un revers à cette médaille : la prime de risque n’offre à court terme qu’une protection limitée en cas de données économiques décevantes. Ce qui peut donc déboucher sur de fortes fluctuations boursières.  

Ainsi, la voie sur laquelle s’engagent les marchés d’actions ressemblera dans les semaines à venir à un sentier de montagne, où les risques d’avalanche et de chute dans le ravin seront toujours présents. Et on observe d’ores et déjà quelques nuages noirs susceptibles de gratifier la communauté des investisseurs de solides averses sur ce chemin rocailleux. Mais cela ne nous effraie pas le moins du monde. Au contraire, ce tableau en demi-teinte empêche les indices boursiers de se distancier excessivement de l’évolution économique réelle.  Jusqu’à présent, les fluctuations boursières sont restées dans des limites tout à fait raisonnables. En les lissant, on peut même entrevoir une légère tendance haussière.

Cette inclinaison favorable devrait perdurer quelques jours. On attend à présent des nouvelles sur trois fronts : le développement de l’épidémie, qui a encore relativement épargné la côte ouest, les chiffres du chômage et les indices ISM pour les secteurs industriels américains.  

Les légers reculs boursiers des derniers jours ne sont pas dus à la seule évolution préoccupante du Covid-19.

L’indice FAANG a subi une correction limitée en raison de la baisse des revenus publicitaires de Facebook.  La chute du fleuron technologique allemand a fait remonter des vapeurs toxiques d’un modèle de gouvernance d’entreprise qui avait déjà amplement démontré ses faiblesses durant les années 2007-2008.  Comment Wirecard a-t-il pu ainsi jeter de la poudre aux yeux de ses actionnaires, de son personnel et de ses créanciers pour des montants aussi élevés et pendant autant d’années ? Heureusement, l’effondrement du cours boursier et la faillite attendue de Wirecard n’ont provoqué que peu de dommages collatéraux pour les autres valeurs technologiques allemandes.

La faillite (probable) de l’entreprise de gaz de schiste Chesapeake Energy - qui est sans doute la première d’une série d’autres défaillances dans le secteur - n’a pas non plus fait beaucoup de vagues jusqu’à présent. Les écarts de taux observés entre les obligations du secteur de l’énergie et celles des autres secteurs n’ont pratiquement pas bougé. Ce n’est (encore) que le secteur bancaire qui en a le plus souffert.

Les facteurs fondamentaux sur lesquels repose la politique d’investissement pointent actuellement vers une position en actions neutre à légèrement sous-pondérée. Nous maintenons à cet égard nos accents sur la technologie et les soins de santé, et plus particulièrement sur l’automatisation, la sécurité, les applications numériques et la technologie médicale. Une fois que le virus sera vaincu (ou aura disparu de lui-même), la période boursière s’annonce fastueuse, soutenue par la hausse des résultats des entreprises et la faiblesse des taux d’intérêt. Le tremplin idéal pour les cours boursiers. Mais, en attendant, il faut faire preuve de prudence, de sens des responsabilités, d’autodiscipline et de persévérance. Des qualités rares dans le monde des humains.

Les taux d’intérêt des obligations européennes resteront très bas pendant longtemps encore. Nous continuons à privilégier à cet égard les titres de la dette publique italienne, espagnole et portugaise. Ce positionnement passe bien entendu par l’approbation du plan de relance européen tant attendu. Nous partons du principe que les quatre petits pays européens réfractaires rentreront dans le rang sous la présidence allemande de l’Union européenne. Les obligations libellées en dollar américain n’offrent actuellement qu’un surcroît de rémunération limité, insuffisant en tout cas pour compenser le risque de devise. Pour compléter notre composante obligataire, nous préférons donc acquérir des titres de la dette publique polonaise et des positions (limitées) en obligations d’entreprises scandinaves.

[1] Le meilleur trimestre boursier depuis 1998.

[2] L’armée américaine n’a ainsi jamais, à notre connaissance, perdu sur aucun champ de bataille durant la guerre du Vietnam, et pourtant Saigon s’appelle désormais Hô Chi Minh-Ville.

[3] L’« indice de surprise » traduit dans quelle mesure les chiffres économiques publiés s’écartent, à la hausse comme à la baisse, des prévisions. Tant aux États-Unis que dans la zone euro, les chiffres réels sont, dans leur grande majorité, meilleurs que prévu.

[4] Les baromètres PMI sont basés sur des enquêtes menées auprès des directeurs d’achats d’entreprises représentatives.

[5] L’indicateur ISM est la version américaine du PMI.

[6] Facebook, Apple, Amazon, Netflix, Google, Nvidia, Tesla, Twitter, Baidu et Alibaba.

[7] La version chinoise de l’indice américain FANG.

[8] Mais la grippe espagnole avait suivi le même schéma...

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