Brennt Paris?

15 janvier 2021

Il est aisé de deviner la raison pour laquelle ce général qui obéissait toujours au doigt et à l’oeil avait osé cette fois-là ignorer l'ordre on ne peut plus clair de son leader incontesté. La guerre était perdue de toute façon. Le général Von Choltitz y a vu une chance de se profiler comme le sauveur de Paris. Il espérait ainsi bénéficier de quelque indulgence lorsqu'on jugerait ses crimes abominables sur le front de l'Est[1]. Les obus dirigés vers tous les lieux emblématiques de la Ville lumière n'ont pas été tirés et la célèbre phrase du Führer demandant si Paris était en feu est restée sans réponse[2].

En lançant un appel à une démonstration de force contre les résultats électoraux officiels et à l'assaut du Capitole, le (quasi ex-)président des États-Unis nous a fait penser à ce fait historique au cours duquel le dictateur a montré sa volonté de tout détruire plutôt que d'en laisser profiter ses vainqueurs. La capitale française a finalement échappé au pire. Et nous n'avons aucun doute sur le fait que ce sera le cas également à Washington DC.

L'incertitude et la crainte d'une escalade pèsent cependant lourdement sur les marchés financiers. Nous pouvons difficilement imaginer en effet que la meute violente qui a pénétré le bâtiment qui symbolise les valeurs démocratiques américaines en restera là.

La facilité avec laquelle les manifestants survoltés ont forcé le passage dans le bien immobilier le mieux protégé des États-Unis a étonné tout le monde, y compris les pires ennemis du pays. Et peut-être le président encore plus ? Mise à part la résistance héroïque de quelques agents de sécurité, on a semblé assister à une journée (portes ouvertes) du patrimoine. La perte tragique de vies humaines qui en a résulté a échappé aux intrus à ce moment-là. Moyennant une meilleure organisation, les sympathisants de Trump auraient pu prendre aisément le contrôle du Capitole. Mais qu'en auraient-ils fait ? Rien, assurément.

Toujours est-il que, par son attitude, Trump a causé des dégâts irréparables, et d'abord à lui-même. Qu'il ait mal digéré sa défaite électorale est une chose. Et que, dans ce contexte, il ait demandé à ses sympathisants de lui montrer ouvertement leur soutien, est même compréhensible (nous n'avons pas dit justifié). Mais que cette manifestation ait dégénéré en mouvement violent est inadmissible, comme d'ailleurs les manifestations précédentes de ses adversaires.

À la différence symbolique près qu'il s'agissait cette fois d'une intrusion dans la maison de la démocratie, ce qui rend cette action très sensible politiquement. Avec la nouvelle procédure en destitution qui vient de démarrer, Trump entrera lui dans les annales comme le premier président à avoir connu par deux fois une telle infamie.

Et cette fois d'ailleurs avec une probabilité raisonnable de succès dans la mesure où elle pourrait empêcher Trump de se représenter devant les électeurs dans quelques années. Tant les démocrates qu'une part croissante des membres du parti républicain tremblent à l'idée d'un tel come-back. Napoléon qui revient de l'île d'Elbe...

Malgré ses frasques, Trump peut en effet encore compter sur une base électorale solide. Un retour sur le devant de la scène pourrait donc être couronné de succès. Ce ne serait en tout cas pas la première fois qu'un président défait reprendrait les clés de la Maison-Blanche après 4 ans d'absence[3].

Jusqu'aux premiers jours suivant l'intronisation officielle du nouveau président élu, les marchés financiers se montreront donc réservés quant à l'attitude à adopter. L'escalade de la violence, voire des attentats, n’est certainement pas à exclure, vu le nombre d'armes en tout genre qui circulent aux États-Unis. Les conséquences de tels actes éventuels ne sont pas à sous-estimer. Seule la présence effective de Trump à la prestation de serment de Joe Biden le 20 janvier pourrait calmer les esprits. Mais cela n'arrivera pas[4].

Lorsque le climat politique se sera apaisé, la dure réalité quotidienne déterminera à nouveau le cours des Bourses. La pandémie continue à frapper dramatiquement la population mondiale, mais d'ici l'été, elle sera vaincue à la fois par les vaccins[5] et par le retour des beaux jours dans l'hémisphère nord. Pour autant bien sûr qu'on évite cette fois de plier devant les exigences des organisateurs d'événements de masse et qu'on n'évacue pas trop vite la discipline qui reste nécessaire.

Pour l'heure, nous conservons une position surpondérée en actions. La faiblesse des taux d'intérêt, les stimulants financiers et monétaires prévisibles ainsi que le redressement économique attendu feront encore monter les Bourses, même si le chemin suivi sera différent de celui parcouru en 2020. Le rallye boursier précédent avait été porté en effet principalement par quelques très grandes entreprises, dont le modèle d'affaires s'accordait merveilleusement bien à la numérisation et l'automatisation accélérées induites par la crise sanitaire.

Entre-temps, l'indice des entreprises de croissance plus petites a cependant rattrapé celui des Large Cap Growth, non seulement aux États-Unis, mais également en Europe où les small caps montent en puissance.

Graphique 1 : Grandes et petites entreprises de croissance aux États-Unis depuis le 01-01-2020.  Return net en dollars américains.

Grandes et petites entreprises de croissance aux États-Unis depuis le 01-01-2020.  Return net en dollars américains.

Cela signifie surtout que les investisseurs sont de plus en plus convaincus d'un redressement économique substantiel au second semestre, malgré l'incertitude politique, les annonces alarmantes sur le nombre croissant de contaminations et la saturation des systèmes de santé aux États-Unis et au Royaume-Uni.  

Les grandes valeurs américaines (comme Amazon, Apple, Google, Twitter et Facebook) qui faisaient encore le beau temps sur les Bourses mondiales en 2020 ont subi, ces derniers jours, les conséquences de la décision difficile qui a été prise d'empêcher Trump de continuer à diffuser ses messages provocants à travers leurs canaux médiatiques. Qualifié de haineux par certains et de légitime libre expression de ses opinions par d'autres.

Le fait que quelques entreprises puissent décider de clouer le bec au président en exercice (et démocratiquement élu) de la plus grande puissance économique et militaire, et de le faire effectivement, en dit long sur les véritables rapports de force actuels.  Cette nouvelle donne devra certainement être clarifiée dans un proche avenir, ce qui conduira immanquablement à une limitation de leur quasi-monopole (et donc également de leurs revenus).

L'indice américain ISM, un indicateur important de la tendance attendue de l'industrie US, soutient en tout cas un scénario de forte reprise économique. Même si le dernier chiffre [6] de cet indice précurseur de la conjoncture nous semble étonnamment fort, il suffirait que la moitié de ce qu'il prédit se réalise pour assister à un large mouvement haussier des cours, une fois que nous serons revenus dans des eaux politiques plus calmes.

Les entreprises actives dans l'énergie alternative se sont distinguées ces dernières semaines par leur évolution particulièrement solide. Les technologies liées aux batteries et aux énergies éolienne et solaire ne sont pas les seules à avoir le vent en poupe. À notre grande joie, les cours boursiers des pionniers dans la technologie de l'hydrogène ont enfin progressé sensiblement. Ce mouvement confirme notre conviction profonde que l'hydrogène aura une réelle chance à l'avenir, à côté des batteries (et toutes leurs limitations), de jouer un rôle crucial dans l'industrie automobile et, en tout cas, dans des applications professionnelles.

Graphique 2 : Évolution de l’indice mondial des actions par rapport à l’indice mondial des entreprises opérant dans l'énergie alternative (indice prix en euros) 

Évolution de l’indice mondial des actions par rapport à l’indice mondial des entreprises opérant dans l'énergie alternative (indice prix en euros)

Cette performance solide, qui a clairement trouvé un second souffle en novembre 2020, est à mettre au crédit des perspectives « verdoyantes » que se propose de réaliser le président élu, Joe Biden. 

Mais le programme écologique du nouveau président n'explique pas tout. Les stimulants financiers mis en œuvre dans le monde pour remettre l'économie sur les rails d'un développement puissant et durable font la part belle à la promotion des sources d'énergie alternatives, qui vont bien au-delà cette fois des seules mesures encourageant les voitures électriques [7].

Autrement dit, cette fois, on joint vraiment le geste à la parole : le développement durable de l'offre d'énergie bénéficiera des moyens nécessaires. 

N'était l'impact profondément tragique de cette pandémie, ce satané virus nous aura tout de même forcé la main dans le bon sens.

[1]Bien joué, mon général. On s'est en effet aperçu ensuite que le disque de gramophone, sur lequel avaient été enregistrés ses aveux, avait disparu mystérieusement. Von Choltitz n'a même pas dû venir répondre de ses actes devant le tribunal à Nuremberg et a pu prendre sa retraite en toute quiétude dans un de ses châteaux familiaux en Bavière.

[2] Cette question entrée dans l'histoire n'avait en réalité pas été posée au commandant à Paris, comme on le présente souvent erronément, mais au chef d'état-major Jodl. Et ce dernier s'est bien retrouvé sur le banc des accusés à Nuremberg. Et puis sur l'échafaud.

[3]Grover Cleveland l'avait déjà réussi en 1893. 

[4] L'absence d'un président sortant à la cérémonie d'intronisation de son successeur n'était plus arrivée depuis 152 ans. Andrew Johnson en avait donné le mauvais exemple en 1869, après sa défaite contre Ulysses Grant.  L'absence de Johnson avait frappé les esprits par sa symbolique sous-jacente. Mais, à l'inauguration de la présidence de Lincoln en 1861, une autre figure éminente s'était fait remarquer par son absence. Et pourtant, il était le colistier d'Abe. La raison ? Il était trop soûl...

Une similitude frappante. Andrew Johnson est le seul président avant Trump à avoir subi une procédure en destitution, et cela pour une peccadille en comparaison avec ce qu'on reproche au président actuel. À l'époque, la procédure engagée n'avait pas abouti non plus. Johnson est considéré généralement comme un des pires présidents de l'histoire des États-Unis. Mais cette liste n'est pas encore clôturée définitivement...

[5] Nous ne doutons pas de l'efficacité des vaccins. Le prototype de la clé permettant de décoder de tels virus avait déjà été mis au point il y a une douzaine d'années. En février et en mars derniers, cette information rassurante nous avait d'ailleurs donné l'espoir, à tort, de pouvoir freiner rapidement la pandémie. Mais il fallait encore procéder à des tests complémentaires et passer par toutes les procédures administratives (que nous ne contestons pas). La mise à disposition effective du vaccin en a été retardée d'autant.

[6] L'indicateur ISM pour l'industrie américaine est passé de 57,5 à 60,7. Une valeur tellement élevée annonçait dans le passé une accélération substantielle de l'activité industrielle.

[7] L'impact de ces dernières sur les émissions totales de CO2 est en effet relativement limité si l'on prend en compte l'intégralité de leur processus de production. Ces véhicules émettent même davantage de particules fines en raison de leur poids plus élevé.

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