Brèves nouvelles du front de l'inflation

11 février 2022

Jeudi dernier, le chiffre de l'inflation CPI qui indique, sur la base d'un panier représentatif des biens et services, l'évolution des prix aux États-Unis, est apparu plus élevé que prévu. Expurgée des prix de l'alimentation et de l'énergie, l'inflation de base est supérieure de 6,04 % au niveau atteint l'an dernier. La différence n'est pas énorme par rapport au chiffre attendu en base annuelle (une hausse de 5,9 %), mais elle a tout de même agi comme une douche froide sur les bourses mondiales, qui ont ainsi vu les cours des actions et obligations reculer sur un large front. Le mouvement de la correction s'est toutefois limité à éliminer les hausses (substantielles) enregistrées lors de la séance boursière précédente. Il n'en reste pas moins que ce dérapage de l'inflation pourrait annoncer une météo maussade sur les places financières dans les jours qui viennent.

La réaction initiale avait cependant été plutôt modérée. L'évolution réelle des prix en janvier ne divergeait en effet pas sensiblement du niveau prévu. De plus, à y regarder de plus près, l'accélération inattendue s'explique surtout par l'augmentation des prix des services médicaux et des loyers.

Quant aux biens, leurs prix ont progressé conformément aux attentes (certes élevées). C'est important parce que c'est précisément ce composant important de l'inflation qui est susceptible de déclencher une désescalade progressive des indicateurs de l'inflation. Comprenez-nous bien : nous ne prévoyons une stabilisation des prix qu'à la fin du premier trimestre et une baisse à partir du second semestre de 2022, avant que leur évolution ne revienne progressivement, sur plusieurs années, à un rythme acceptable.

Les cours des actions ont accéléré leur baisse lorsqu'un gouverneur de la banque centrale américaine a profité de l'annonce d'une inflation plus élevée que prévu pour plaider à nouveau pour un relèvement du taux directeur en mars non pas de 25 points de base, mais d'un demi pour cent. La probabilité d'un tel superhike lors de la prochaine réunion du FOMC en mars est passée ainsi d'un coup de 33 % à 90 % (!). Une quasi-certitude, donc.

Un double relèvement le 16 mars ne serait pas une catastrophe et serait même logique dans le contexte économique actuel. La perspective d'un tel bond du taux directeur (plutôt exceptionnel) ne traduit pas non plus un quelconque sentiment de panique qui aurait envahi la Fed. Au vrai, le taux directeur aurait déjà dû être relevé lors du précédent FOMC, mais les décideurs de la Fed avaient les mains liées par leur programme de soutien(1) sur les marchés obligataires. Comme ce programme prend fin cependant en mars, il est possible désormais de combiner la hausse du mois de mars avec celle qui aurait dû avoir lieu en décembre 2021.

Dans le tableau 1, nous tentons de dessiner l'évolution future du taux directeur. Nous indiquons ainsi chaque fois la probabilité qu'une hausse du taux de 1 à 10 (ou de 25 à 250 points de base) se réalise à un moment donné dans le futur. Ainsi, la probabilité d'une augmentation du taux directeur aux États-Unis de 1,5 % d'ici à septembre prochain est actuellement de 75 %.

Tableau 1 : Probabilité de hausses du taux directeur américain

Tabel met de kansen op verhogingen van de Amerikaanse beleidsrente per periode

Lorsque cette probabilité est supérieure à 50 %, la banque centrale part du principe qu'une telle hausse est anticipée par les marchés financiers et peut donc être absorbée sans trop de difficultés par l'économie.

En mars, nous assisterons donc selon toute vraisemblance à une double hausse (au total de 50 points de base), suivie par des relèvements (chaque fois d'un quart de pour cent) en mai, juin, juillet, décembre et mars 2023. Ce n'est in fine qu'un relèvement de plus que ce qui était prévu avant la publication du chiffre CPI. Et cela nous ramènera un trimestre plus tôt qu'anticipé à un niveau de taux « normal », compte tenu du dynamisme économique et du taux de chômage actuels.

Cette adaptation du scénario devait cependant être répercutée dans les cours des actions, ce qui a donc donné lieu à une correction modérée. Les résultats des entreprises meilleurs qu'attendu freinent cependant dans une grande mesure les forces baissières. Avec respectivement 70 % et la moitié des entreprises cotées en bourse, les résultats publiés jusqu'ici pour le trimestre écoulé dépassent les attentes des analystes de 5,3 % aux États-Unis et de 4,3 % en Europe.

Les dégâts ont également été limités sur les marchés obligataires. Un taux directeur plus élevé tempère en effet les attentes inflationnistes et n'exerce donc (jusqu'à présent) qu'une pression haussière limitée sur les taux d'intérêt à long terme. Les taux sur les obligations d'État à long terme progressent cependant davantage dans la zone euro qu'aux États-Unis. La banque centrale européenne dispose en effet d'une marge de manœuvre pour relever son taux directeur bien plus limitée que celle de la Fed. Cela signifie qu'en Europe, une part beaucoup plus importante du fardeau inflationniste croissant doit être supportée par les taux à long terme qui sont donc appelés à monter plus fortement de ce côté oriental du méridien de Greenwich. L'on prévoit que la BCE augmentera son taux directeur de 50 points de base d'ici à la fin de l'année 2022.

Avec ces turbulences, vents contraires, gros temps et pluies glaçantes à l'horizon, nous gardons cependant l'équilibre, forts de nos fidèles pieds marins.   

[1] Augmenter les taux sur les placements à court terme au moment où l'on veut fait pression sur les taux d'intérêt à long terme à travers des achats subsidiés sur les marchés obligataires n'aurait en effet pas eu beaucoup de sens.

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