Prudence trompeuse

12 decembre 2025

Jerome Powell, le président de la banque centrale américaine (Fed), a réduit le taux directeur d’un quart de point de pourcentage, mais avec une franche réticence. Ce n’est pas la première fois qu’il applique cette tactique : réduire les taux d’intérêt pour soutenir la croissance, tout en soulignant qu’il reste dépendant des données et surveille l’évolution des indicateurs d’inflation avec méfiance. 

1. L’attitude paradoxale de la Fed

La position de Powell entraîne un grand écart contre nature : il adopte le ton sévère d’un faucon, mais l’associe à une politique « dovish » stimulante. Ne cherchons pas plus loin : si les choses devaient mal tourner à l’avenir, une telle attitude indécise offre une issue facile.

Cette fois-ci, l’intéressé n’a même pas pris la peine de cacher son opposition à la baisse des taux d’intérêt. 

2. Het belang van tussen de regels lezen

Pourtant, la référence de Powell à la future politique des taux d’intérêt semblait moins stricte que prévu. Pour cela, il fallait surtout écouter ce qui n’a pas été dit : dans ses commentaires sur le marché du travail, Powell n’a en effet plus fait explicitement référence au faible taux de chômage, avec lequel il semble créer une ouverture pour le cas où les chiffres de l’emploi s’affaibliraient dans un avenir proche. Mais, à l’heure actuelle, ces chiffres sont ambigus (et assez peu fiables).

Les marchés financiers ont su apprécier à sa juste valeur cette faille dans la vision figée de Jay Powell et de son entourage. Ils ont fait grimper les cours des actions, même si la baisse des taux d’intérêt à court terme avait déjà été largement anticipée.

Graphique 1 : Évolution escomptée du taux directeur américain

Graphique 1 : Évolution escomptée du taux directeur américain

Il est toutefois immédiatement apparu que la Fed ne prévoit plus qu’une seule baisse supplémentaire des taux d’intérêt en 2026, probablement après la réunion de juillet.

La banque centrale se retranche derrière l’incertitude qui plane sur l’évolution attendue de la croissance économique, de l’inflation et de l’emploi aux États-Unis : elle déclare explicitement que la politique monétaire menée dépendra des nouvelles données relatives à ces variables macroéconomiques.

3. Prudence politique versus nécessité économique

Tout cela peut sembler plausible aux oreilles du citoyen moyen : après tout, qu’y a-t-il de mal à adopter une attitude attentiste lorsque les perspectives sont incertaines ? Surtout lorsque les décisions d’une banque centrale sont d’une telle importance pour la société.

Pour les économistes, cela revient à blasphémer dans une église. Une banque centrale doit anticiper l’évolution de l’inflation et de la croissance, et prendre des mesures proactives lorsque cela s’avère nécessaire. Cela comporte bien sûr le risque de mal évaluer les développements futurs, mais il faut alors à nouveau limiter ce risque grâce à des analyses approfondies et à une vision avancée.

4. Les conséquences de l’inaction : charges d’intérêts et marges bénéficiaires

Aujourd’hui, il est bien plus facile d’adopter une position passive et attentiste et de se cacher derrière les données futures. Cela permet d’éviter à court terme le risque de perte de visibilité en raison de mauvaises prévisions. Mais en reportant systématiquement vos décisions, vous imposez à l’économie les conséquences de choix tardifs. Un exemple typique en est la situation actuelle, où les taux d’intérêt à court terme restent à un niveau anormalement élevé depuis trop longtemps, alors qu’il est clairement apparu qu’un taux directeur plus élevé n’offre aucune protection contre une hausse de l’inflation due à la hausse des frais et des droits de douane.

Les charges financières croissantes pour les entreprises sont répercutées sur le consommateur final lorsque l’entreprise dispose d’un pouvoir de fixation des prix suffisant (comme dans le secteur technologique) ou elles réduisent la marge bénéficiaire des plus petites entreprises ou des secteurs industriels.

5. Le risque de contamination

Une telle attitude est d’ailleurs contagieuse : la BCE utilise la norme d’inflation de 2 % pour affirmer que son travail monétaire est terminé pour le moment. Son objectif est atteint, ce qui constitue donc un prétexte idéal pour ne pas procéder à de nouvelles baisses des taux d’intérêt, malgré les prévisions d’inflation pour 2026 qui permettent une nouvelle réduction de 25 points de base (au moins).

Graphique 2 : Évolution escomptée du taux directeur de la BCE

Graphique 2 : Évolution escomptée du taux directeur de la BCE

En nous en tenant doctrinalement à une norme des années 80 adaptée à l’économie néo-zélandaise (ce qui s’est passé il y a longtemps et loin de nous), nous maintenons les taux d’intérêt à un niveau stable dans la zone euro, tandis que les États-Unis procèdent à une baisse des taux.

6. Implications internationales

Le dollar américain est soumis à une pression (encore) plus forte. Cela rend la situation (encore) plus difficile pour les exportateurs européens, dans le contexte actuel d’augmentation des droits de douane américains.

À la grande joie de la Chine (qui aligne son taux de change sur la devise américaine et non l’européenne), pour qui la porte vers le marché européen de la consommation est désormais grande ouverte. C’est pourquoi, en pleine guerre commerciale avec les États-Unis, l’excédent commercial chinois atteint de nouveaux records.

7. La menace improbable d’une hausse des taux d’intérêt dans la zone euro

Mais comme si cela ne suffisait pas, il semble que la BCE veuille préparer les marchés financiers à une hausse des taux d’intérêt en 2026, en utilisant comme prétexte la (légère) amélioration des perspectives de croissance pour la zone euro et la lenteur de l’ajustement à la baisse de l’inflation. La croissance économique européenne se voit ainsi privée de toute chance de reprise significative. Ou, disons plutôt, habilement étranglée. 

Lire plus

  • Le syndrome de Stendhal

    21 novembre 2025

    Lors de sa première visite dans la ville en 1817, l'auteur français Stendhal fut tellement subjugué par la splendeur des cathédrales, des places de marché et des palais florentins qu'il s'évanouit sur place. Nous vous laissons le soin de juger si cet incident doit être pris au sérieux ou non. Le syndrome de Stendhal a ensuite été observé dans plusieurs centres touristiques, avec le soutien enthousiaste des psychiatres locaux, qui ont ainsi contribué à l'économie de leur ville.

  • Retour sur un mois mouvementé

    7 novembre 2025

    Selon Mark Twain, octobre est un mois particulièrement dangereux pour investir en actions. « Et cela vaut tout autant pour septembre, novembre et les autres mois de l’année », ajoutait-il, non sans un savoureux sarcasme, dans un roman de 1894.

  • Monsieur le maître, il recommence

    16 octobre 2025

    Conscient du quasi-monopole de son pays, le président chinois Xi a placé l’économie américaine en étau en durcissant encore les restrictions à l’exportation de métaux rares.